Cinq ans après l'incendie de Notre-Dame de Paris, 100 % création vous propose de partir à la rencontre des compagnons, artisans d’art ou designers qui ont travaillé sur ce chantier emblématique. Aujourd’hui, Ionna Vautrin, designer industrielle et artiste choisie pour les chaises de Notre-Dame de Paris. Ionna Vautrin ne se contente pas de créer des objets ; elle forge des histoires, construit des ponts entre le passé et le futur et initie un dialogue profond entre l'art et la fonctionnalité.
« Moi, j'aime bien mélanger le côté sculptural des objets à leur réalisation technique, qu’ils puissent être conçus pour une fabrication en série. C'est vraiment quelque chose d'important. Tous les objets que je dessine ont un petit air de famille. Ils sont tous un peu cousins et en cela, j'ai une signature qui commence à se dévoiler au fur et à mesure des années », explique Ionna Vautrin, designer industrielle en charge du mobilier d’assises de Notre-Dame de Paris. Et d'ajouter : « Je dirais que ce que révèle un peu cette chaise, c'est le travail d'ébéniste. Une chaise, c'est à la fois une structure, mais c'est aussi une sculpture, dans le sens où c'est un objet qui raconte des choses, qui parle et qui est un vrai travail ouvragé. Cette arche qui se dessine à l'arrière de la chaise, nous sentons et voyons le travail ouvragé qui est un élément qui parle du travail d'ébéniste ».
Ionna Vautrin est née en Bretagne, elle a obtenu son diplôme à l'École de design de Nantes Atlantique. Son parcours l’a amenée à travailler dans plusieurs pays, notamment en Espagne et en Italie, avant de s’établir en France. Elle a, aussi, acquis une renommée nationale et internationale grâce à des œuvres emblématiques comme la lampe Binic et le mobilier conçu pour la SNCF. Sa dernière commande marquante concerne le design de chaises pour la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Une aventure qui met en avant son expertise technique et son sens de l’esthétique.
« Dans le cadre de Notre-Dame, le cahier des charges était assez contraint. Évidemment, la chaise devait être empilable, elle devait s'attacher les unes aux autres pour créer des rangées bien rectilignes. Elle doit aussi passer des tests de certification Afnor qui va justifier sa solidité, sa pérennité, etc. C'est des tests assez violents. Pendant des heures, une force très importante va être appliqué sur l'assise pour voir si la chaise ne cède pas. Il y avait aussi des contraintes liées au bâtiment, à la sécurité, à l'usage. Il faut savoir que toutes les semaines, environ la moitié des chaises de la nef est retiré pour les remettre en fin de semaine pour les cérémonies, ce qui fait qu'elles vont avoir une vie très cadencée, donc une usure potentiellement accélérée. Tout cela, il fallait vraiment y penser, dans la conception de la chaise. »
Pour Ionna Vautrin, chaque création raconte une histoire. Sa recherche d’un dialogue entre ses créations et les architectures existantes est centrale, comme en témoigne le mobilier d’assises imaginé pour convenir à la cathédrale.
« J'ai voulu jouer sur cette architecture d'inspiration gothique, c'est-à-dire beaucoup d'enchaînements, d'arches, de pilastres, de colonnes, de colonnettes. Il y a un jeu de transparence aussi dans cette chaise. Je l'ai imaginée comme une chaise à barreaux. D'abord, cela permet d'avoir un meilleur soutien lombaire et au-delà de parler de ce rythme architectural de la cathédrale. Et puis, la lumière qui peut taper dans ces barreaux peut rappeler les proportions des vitraux de Viollet-le-Duc. Par ailleurs, à l'arrière de cette chaise, il y a une arche qui se dessine. La chaise, évidemment, nous pouvons la prendre indépendamment, mais en vrai, c'est un projet plus global. C'est presque une micro architecture puisqu’elle ne sera jamais seule, cette chaise, elle sera toujours disposée en presque en marée de chaises. Il y a cette arche qui se dessine à l'arrière de la chaise qui vient une fois de plus rappeler les arches de la cathédrale. Et enfin, son dossier qui est légèrement abaissé est réalisé sur un plan droit pour créer un horizon très bas en termes de visualisation dans la nef, ce qui vient un peu lui donner un statut d'humilité et cela vient souligner la verticalité incroyable de la cathédrale. »
Le choix de matériaux locaux et durables, comme le chêne français pour les chaises de Notre-Dame, montre l’engagement de Ionna Vautrin en faveur d'un design respectueux de l'environnement.
« Moi, naturellement, je me suis orienté vers le bois, les chaises sont fabriquées en chêne massif. C'est du chêne français exploité de manière responsable, labellisé PEFC, un label spécifique à l'usage du bois. La chaise est aussi fabriquée dans les Landes par un fabricant qui s'appelle Bosc, elle est quasiment 100 % landaise. Dans cette entreprise, ils sont chaisiers de père en fils depuis trois générations et cela leur tient vraiment à cœur de travailler dans le local avec des entreprises autour d'eux. Ils sont aussi labellisés Entreprise du patrimoine vivant (EPV) donc c'est vraiment important. Le choix du chêne résonnait aussi, évidemment, avec la charpente de la cathédrale qui est réalisée en chêne français de la même façon. »
Ionna Vautrin a un processus de création inclusif. Elle construit ainsi des liens étroits avec les artisans et fabricants.
« J'ai toqué à la porte de Bosc, avec qui je n'avais jamais collaboré, mais en revanche, je connaissais leur travail. Quand je les ai contactés, ils se sont dit "mais c'est qui celle-là ? Est-ce que c'est une blague ?" C'est tellement atypique et incroyable ce projet que, évidemment, c'était un peu étrange comme cela d'appeler et de demander. Nous avons eu relativement peu de temps pour fabriquer ces 1 500 chaises, ce à quoi se sont ajoutés des agenouilloirs, des prie-Dieu et des prie-Dieu longs, qui vont en partie arriver au même moment que la réouverture, et d'autres mobiliers qui vont arriver courant février-mars 2025. »
Ionna Vautrin valorise l'alliance de la fonctionnalité et de l’esthétique, se concentrant sur la création d'objets qui sont aussi agréables à regarder qu'à utiliser que ce soit pour le mobilier d’assises à Notre-Dame ou sur d’autres projets, mais toujours au service du grand public.
« Ce que j’aime dans ce métier, c'est m'adresser au grand public, ce qui n'est pas toujours le cas dans mon métier, qui est souvent perçu comme un métier presque élitiste. C'est beaucoup les magazines aussi qui ont un peu changé le métier de designer en qualificatif en disant "c'est design", alors que c'est design, cela ne veut rien dire. Le design, c'est vraiment un métier, une approche, une façon de voir le monde, les entreprises et d'aborder les projets. Et moi, ce que j'aime effectivement dans ce métier, c'est m'adresser au grand public. Des projets comme la lampe de la SNCF, nous sommes vraiment là-dedans. Le projet de Notre-Dame aussi, évidemment, d'une autre manière. La petite lampe Binic que j'ai pu réaliser il y a quelques années, c'était vraiment une lampe aussi grand public et je pense que c'est cela qui me porte. »
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