100 % création continue sa série spéciale autour des métiers qui ont contribué au chantier de Notre-Dame de Paris. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Édouard Cortès, apprenti charpentier à la hache ou équarrisseur. Au cœur de la restauration de Notre-Dame de Paris, les charpentiers à la hache ont réutilisé des techniques médiévales. Ce retour aux sources met en valeur un savoir-faire ancestral tout en répondant aux exigences contemporaines.
Moi, c’est la taille à la hache d’un canoë qui m’a mené jusqu’à la grande nef, le vaisseau amiral de Notre-Dame sur l’île de la Cité.
Édouard Cortès, apprenti charpentier à la hache ou équarrisseur
L’équarrissage, c’est un labeur monacal assez épuisant et il faut parfois faire reposer les muscles. Nous faisions des périodes d’un mois ou deux, parfois quelques semaines et d’autres venaient prendre le relais. Pour les charpentiers équarrisseurs, ceux qui ont travaillé à la hache, nous étions une quarantaine à nous relayer. Nous n’étions pas en permanence sur le même site. Nous nous relayions tout simplement pour la santé, pour éviter de s’épuiser et puis aussi parce que cela a donné la place à plusieurs charpentiers à la hache. Nous sommes plusieurs à avoir eu ce petit privilège de pouvoir tailler les poutres de Notre-Dame.
Édouard Cortès est né à Paris. Sa vie est marquée par le voyage et la découverte. Son parcours, riche en expériences, lui a permis de développer une approche unique du travail du bois. Il a construit une cabane en bois dans le Périgord, puis un canoë en bois, à la hache. Le respect de la nature et de la créativité l’ont conduit sur le chantier de Notre-Dame de Paris. Mais Édouard Cortès a aussi une relation personnelle avec la cathédrale.
« Est-ce que c’est un hasard que je sois sur le chantier de Notre-Dame ? J’ai une petite histoire avec Notre-Dame : j’ai demandé ma femme en mariage au kilomètre zéro sur le parvis de Notre-Dame, et je suis parti à Jérusalem à pied, j’ai fait un grand voyage et je suis parti de Notre-Dame pour ce voyage. J’ai toujours eu une affection pour Notre-Dame, comme nous avons tous une affection pour Notre-Dame, et puis encore plus avec l’effroi de l’incendie qui nous a révélé ce qu’était cette cathédrale justement, pas seulement une cathédrale, mais aussi un cœur battant. Et là, c’était un cœur brûlé. Aujourd’hui, en voyant le bâtiment, la restauration, le grand vaisseau, le grand berceau parisien qui renaît de ses cendres, je me dis : "Le cœur brûlé est maintenant un cœur brûlant." Alors, je ne sais pas très bien où j’en suis dans ma foi, mais en tout cas, je suis heureux de voir qu’à Notre-Dame il y a un nouveau cœur qui bat. »
Édouard Cortès fait partie de la quarantaine de charpentiers équarrisseurs qui ont travaillé à la hache afin de refaire à l’identique la charpente de Notre-Dame de Paris.
« La technique d’équarrissage, c’est une technique médiévale, nous travaillons sur bois vert. À l’atelier, les grumes, ces troncs d’arbres qui sont dégagés de leurs branches, sont posées sur des tréteaux et alors là commence le travail de l’équarrisseur. Nous cherchons à garder la forme de l’arbre pour des questions mécaniques, donc à suivre le fil du bois. Nous faisons notre marquage et travaillons avec plusieurs types de haches. Une fois la forme repérée, nous faisons nos marquages au rouge, au noir, retirons l’écorce et ensuite, nous travaillons avec différents types de cognées, différents types de haches. D’abord des grosses cognées, là, nous montons sur le tronc d’arbre, nous sommes debout pour retirer des gros morceaux de bois, des grosses chutes, des gros éclats. Et là, il faut y aller. Ensuite, nous prenons la doloire, cette hache qui est un peu désaxée, qui n’a qu’un seul biseau, qu’un seul taillant, et avec la doloire, nous raclons légèrement, nous enlevons une fine couche, parfois des copeaux pour affiner et c’est ce qui donne cette finition. Quand vous voyez une poutre avec ses petites vaguelettes, appelées cupules, qui laissent la trace de l’outil et qui laissent un petit creux. »
La restauration de Notre-Dame de Paris a fait appel à la doloire, une hache ancienne de charpentier.
« La doloire a été notre outil, comme le guerrier à son arme, ou comme le peintre son pinceau, l’écrivain son stylo. Nous avons la doloire. Cela vient du latin dolor, c’est la souffrance, la douleur, donc oui, il y avait un effort constant. Quand vous équarrissez une longue poutre à la doloire, cette hache spécifique, eh bien, il faut être persévérant. Il y a une forme de musique intérieure. Vous avez une grande longueur. Si vous faites un chevron de douze mètres, vous savez que vous en avez pour la journée. Vous avancez petit à petit. C’est comme la marche, c’est lent, mais vous avez un objectif. Et le soir, quand vous regardez votre poutre, vous vous dites : "Ah ! J’ai fini ma poutre. Incroyable ! Dans une journée, j’ai réussi à dégager une poutre. Et je sais où elle ira dans la charpente de Notre-Dame." Alors, vous êtes le plus content des artisans et vous êtes proche de l’artiste parce que votre travail est accompli. Vous avez fait un petit chef-d’œuvre. Vous ne signez pas votre chef-d’œuvre. C’est ce qui distingue peut-être l’artisan de l’artiste. En tout cas, vous avez juste marqué parfois d’un peu de sang, quand vous vous êtes éclatés les mains, qui se mélangent au tanin, de sueur, c'est sûr. Mais vous avez juste laissé une petite trace de la hache, une petite trace de la doloire. C’est d’ailleurs ce que nous, les charpentiers, nous laisserons là-haut : les traces de nos doloires. »
La reconstruction de Notre-Dame de Paris a présenté de nombreux défis, allant des techniques de construction à la gestion du temps. Des conditions de travail difficiles, il fallait respecter l’héritage architectural de la cathédrale tout en maintenant un haut niveau de qualité.
« Le grand défi, c’était d’imaginer ces délais, de faire très bien avec très peu de temps. Impossible n’est pas français, c’est impressionnant. Quand il y a une volonté — il y a eu de l’argent, évidemment, il faut saluer les 340 000 donateurs, des petits aux grands donateurs, il faut saluer cette puissance financière qui a permis la résurrection de Notre-Dame -, une volonté, assez forte, et un objectif commun, et puis une camaraderie, une humanité dans chacun. Nous avons essayé d’être bons, pas seulement dans notre travail, mais aussi dans les rapports. Nous savions que le chantier serait exceptionnel, que la pression qui était mise sur chacun, du plus petit au plus grand dans la dimension hiérarchique du chantier, nous savions que cette pression serait difficile pour les délais. Je crois que nous avons été à la hauteur de cette pression parce que nous avons été bons. Évidemment, il y a eu des accrocs, des engueulades, des tas de contraintes. La pierre, le bois, le plomb, le verre nous contraignent. Mais je crois qu’au-delà du bel ouvrage, nous avons essayé de faire une belle œuvre humaine. Une sorte de cathédrale de compagnons. Malgré les différences d’où nous venions, qui nous étions, ce que nous voulions dans ce chantier, malgré tout cela, nous avons été aussi bons et nous avons fait de belles œuvres aussi entre nous. »
Ce chantier extraordinaire a changé la vie d’Édouard Cortès, charpentier à la hache.
« Ce grand malheur nous a fait retrouver la mémoire de notre pays. Nous aurions pu faire une flèche de verre. Non, nous avons refait un geste ancestral. Le plus beau geste contemporain qui a été fait, c’est de se souvenir de nos anciens et de se dire, il y a un tout petit geste à la doloire qui a été fait et qui a permis qu’une charpente en bois vert dure plus de 850 ans. Refaisons comme nos anciens, refaisons du bel ouvrage pour que cela dure encore 1 000 ans. Quand vous traversez la grande forêt, le grand comble, il y a une émotion. Cela vibre, c’est beau, c’est esthétique et en plus c’est solide et c’est là sans doute pour 1 000 ans encore. »
Retrouvez tous les épisodes de 100 % Création sur :
Apple Podcast Castbox Deezer Google Podcast Podcast Addict Spotify ou toute autre plateforme via le flux RSS.
À lire aussiGuillaume Bardet et le mobilier liturgique de Notre-Dame de Paris [7/9]