Il y a dix ans, la Sierra Leone vivait un cauchemar, balayée par l’une des épidémies les plus meurtrières de notre époque. Ebola a fauché plus de 11 000 vies en Afrique de l’Ouest, dont près de 4 000 en Sierra Leone, semant la terreur au-delà des frontières. Si le virus semble endormi, la résurgence de cas en Guinée en 2021 a ravivé les craintes. Aujourd’hui, alors qu’une campagne de vaccination préventive vise à protéger les travailleurs en première ligne, le souvenir de cette tragédie reste vif, porté par des survivants comme Daddy Hassan Kamara et Victoria Yillia, dont les récits résonnent encore. Entre mémoire collective et espoir scientifique, la Sierra Leone cherche à se relever, tout en veillant à ce que l’histoire ne se répète pas.
Dans l’arrière-cour d’une petite maison à Masiaka, petite ville nichée à une heure de Freetown, Daddy Hassan Kamara fait défiler les portraits de ses proches disparus. « Voici ma mère, elle a été la première infectée par le virus après un mauvais diagnostic du médecin », raconte ce survivant d’Ebola, le regard perdu dans ses souvenirs. Ignorant qu’elle souffrait d’Ebola, il l’a soignée à mains nues, sans protection, contractant le virus à son tour.
« Un jour, des gens sont venus me voir. Ils m’ont dit : "Tu as perdu ton fils, ton père, ta belle-mère et ta femme." Ce mois de novembre, j’ai perdu neuf membres de ma famille. » Ces mots, Daddy Hassan les prononce avec une douleur contenue. Comme lui, des milliers d’autres Sierra-Léonais ont été fauchés par le virus ou ont vu leurs familles décimées.
Vaccination préventive : une course contre-la-montre
« Ce n’est qu’une question de temps avant que nous enregistrions une nouvelle épidémie d’Ebola », alerte le Dr Desmond Maada Kangbai, chargé de vaccination au sein du ministère de la Santé.
Face à cette menace persistante, la Sierra Leone a lancé, le 30 novembre 2024, une campagne de vaccination préventive destinée aux soignants et travailleurs de première ligne. Avec le vaccin Ervebo, administré en une seule dose, les autorités espèrent éviter une répétition de la tragédie de 2014.
« Les soignants sont le premier rempart contre Ebola. S’ils ne sont pas protégés, nous risquons de revivre l’enfer d’il y a dix ans », insiste le Dr Kangbai.
La campagne, financée par l’Alliance mondiale des vaccins, Gavi, vise à vacciner 20 000 travailleurs de santé et autres acteurs communautaires. Destinée à couvrir les 16 districts du pays, elle bénéficie d’une logistique optimisée : bien qu’exigeant une conservation à -80°C au niveau national, le vaccin peut être stocké entre 2 et 8°C dans les districts, simplifiant ainsi sa distribution.
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Un hommage aux héros disparus
« À Kailahun, j’ai perdu environ 40 de mes collègues », se souvient le Dr James Sylvester Spire, directeur de la surveillance électronique à l’Agence nationale de santé publique, créée après l’épidémie. Cet ancien chef médical régional du district de Kailahun a gardé intact le souvenir des premières heures de l’épidémie.
« Lorsque le virus Ebola a commencé à sévir, personne ne voulait aller travailler à Kailahun. L’endroit était extrêmement silencieux ; si on laissait tomber une épingle, on pouvait l’entendre. Tout le monde avait fui les lieux, les gens s’étaient réfugiés dans la brousse ou ailleurs. Moi, j’étais souvent en contact avec les patients, car lors des supervisions, si vous voyez un patient malade, en tant que professionnel de santé, vous devez le soigner. Et c’est ainsi que la plupart des membres du personnel ont été infectés. »
Plus loin, à Kenema, troisième plus grande ville de la Sierra-Leone, le docteur Donald Grant se tient devant une grande pierre tombale, sur un terrain poussiéreux. Les noms gravés racontent une tragédie collective : celle des travailleurs de santé tombés au front lors de l’épidémie.
« Voici une liste de 40 agents de santé », indique l’ancien responsable médical du district de Kenema, en caressant la pierre du bout des doigts. « Mais ce n’est que pour Kenema. Le bilan national est bien plus lourd. »
Sa voix se brise un instant. « Tous, je les connaissais tous. Chaque nom ici représente un collègue, un ami, une perte irréparable. »
En 2014, tout commence lorsqu’un individu infecté en Guinée traverse la frontière pour consulter un guérisseur traditionnel en Sierra Leone. La guérisseuse succombe rapidement au virus et ses funérailles, réunissant des centaines de personnes, deviennent un foyer de contagion incontrôlable. À partir de là, la diffusion de la maladie explose.
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Victoria Yillia : une survivante marquée à jamais
Victoria Yillia est devenue, bien malgré elle, un symbole de la lutte contre Ebola. Elle était le « premier cas confirmé » de la Sierra Leone, diagnostiqué dans le district de Kailahun en 2014.
« J’ai attrapé la maladie d’une femme enceinte soignée par la même infirmière qui s’occupait de moi », raconte-t-elle. Transférée à l’hôpital de Kenema, pendant des semaines, Victoria a traversé un véritable calvaire : la fièvre, les douleurs insoutenables et surtout la peur. « Chaque fois qu’on essayait de poser une aiguille pour une perfusion, je saignais abondamment. »
Elle a survécu, mais au prix de terribles pertes. « Quand je suis sortie de l’hôpital, mes parents étaient morts. Je ne trouvais que leurs tombes. J’ai perdu environ 21 proches à cause d’Ebola. »
Le legs du Dr Sheikh Umar Khan
À cette époque, la riposte contre Ebola est dirigée par le Dr Sheikh Umar Khan, expert en fièvres hémorragiques et seul virologue du pays.
Écartant le diagnostic de la fièvre de Lassa, le Dr Khan met en place des protocoles stricts pour tenter de contenir la maladie. Mais la pression sur le personnel est immense. Beaucoup tombent malades, lui y compris.
Le 29 juin 2014, le Dr Khan succombe au virus, laissant un pays en deuil.
« C’était comme perdre un général en pleine bataille, se remémore le Dr Donald Grant. Tout le monde était désemparé, pensant que la guerre était déjà perdue. »
Une résilience fragile
Dix ans après, les échos de la tragédie d’Ebola résonnent toujours dans les esprits. Si des progrès ont été réalisés, comme l’établissement de l’Agence nationale de santé publique et la modernisation des infrastructures sanitaires, beaucoup restent à faire.
« L’assainissement reste un problème. Les choses les plus basiques n’ont pas encore été réglées. Avoir de l’eau courante relève encore du rêve pour beaucoup. Si vous ne vous attaquez pas à l’assainissement, les maladies comme Ebola continueront d’émerger », avertit le journaliste Umaru Fofana.
Pourtant, l’espoir persiste. « Le Dr Khan m’a enseigné à toujours servir l’humanité, quelles que soient les circonstances, conclut le Dr Grant. Nous devons transmettre cette ardeur aux générations futures pour qu’elles poursuivent ce combat. »
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Ce reportage a été réalisé avec le concours de l’Alliance mondiale des vaccins, Gavi, financée par la fondation Bill and Melinda Gates.