Justin Trudeau a perdu l’art de gouverner


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Jan 07 2025 30 mins   3

Le Premier ministre canadien a jeté l’éponge hier, après neuf années à la tête du gouvernement qui ont abîmé son image et celle du Parti libéral. Le grand invité : Frédéric Boily, professeur de politique canadienne et québécoise à l’université de l’Alberta.

RFI : Quel bilan tirez-vous des années Justin Trudeau à la tête du Canada ?

Frédéric Boily : C'est un bilan contrasté, sous-tendu par deux périodes distinctes. Entre 2015 et 2019, le gouvernement est archi-majoritaire. À ce moment-là, Justin Trudeau avait les coudées franches et il a quand même pu initier un certain nombre d'initiatives politiques intéressantes : un processus de réconciliation avec les autochtones, une politique environnementale plus vigoureuse, une véritable défense de la classe moyenne qui s'est surtout manifestée lors de la pandémie. Mais ça s'est dégradé par la suite avec les élections de 2019 et 2021, lorsque le gouvernement a été mis en minorité.

Le vote libéral est resté très efficace, surtout dans les grandes villes. Mais ces résultats électoraux ont aussi montré un pays en train de se fractionner entre l'Est et l'Ouest. Il aurait fallu entendre que le pays était en train de se diviser et apporter les correctifs qui n'ont pas été apportés, soit par entêtement politique, soit par aveuglement idéologique.

On a la sensation que la popularité de Justin Trudeau s'est usée à l'épreuve du pouvoir et que son image en a beaucoup souffert ?

Elle est devenue très mauvaise. Et c'est un peu paradoxal, parce qu'en 2015, Justin Trudeau apparaissait comme un vent de fraîcheur par rapport à son prédécesseur Steven Harper, un conservateur qui passait pour l'homme politique d'une autre époque. La « Trudeaumania » s’est totalement estompée et son capital politique a disparu, non seulement auprès de la population, mais de surcroit, à l’intérieur de son groupe parlementaire. On a vu ces derniers mois de plus en plus de libéraux affirmer que Justin Trudeau ne pouvait plus être l'homme de la situation, et que malgré sa gestion convenable de la pandémie de Covid-19, il appartenait désormais au passé, loin de la figure rassembleuse de 2015.

Quels sont les éléments qui ont précipité sa chute ?

Beaucoup de choses. Mais avant tout, les élections partielles dans certaines circonscriptions, du côté de Toronto ou de Montréal, considérées comme des bastions libéraux, qui ont été perdues, dans une odeur de débandade électorale. Petit à petit, il a perdu l’art de gouverner. On aurait pu penser qu’après la pandémie, l'État reste très présent pour soutenir l’économie canadienne. Mais, au contraire, c’est le discours selon lequel le Canada avait perdu la maîtrise de ses finances publiques qui s’est imposé, et cette idée a fait beaucoup de mal aux libéraux. Comme s’il n’y avait plus de pilotes dans l’avion et qu’il était temps de changer tout l’équipage pour y remettre une touche conservatrice, si l’on en croit les sondages.

Le Parti libéral a-t-il une chance de garder la main sur le pouvoir ?

C’est très compromis. Depuis deux ans, dans les intentions de vote, les conservateurs ont la faveur de l'électorat canadien, avec un écart considérable : 20 à 25 points d’avance par rapport aux libéraux. Dans le système majoritaire à un tour que connaît le Canada, on peut imaginer que les libéraux soient balayés et passent par une longue période de purgatoire politique.

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Quels sont les grands thèmes sur lesquels s'appuient les conservateurs pour capitaliser sur les échecs de l'administration Trudeau et qu'est-ce qu'incarne le leader conservateur et favori des sondages, Pierre Poilievre ?

Il s'est notamment mis en opposition sur un point central de l'approche libérale, à savoir la lutte contre le changement climatique avec une taxation sur le carbone. Cette mesure mise en avant par le gouvernement libéral était relativement bien acceptée par la population et avait été jugée constitutionnelle par la Cour suprême. Mais, sur la foi de son slogan « Axe the tax » (en finir avec la taxe, ndlr), Pierre Poilievre est parvenu à opérer un retournement de l’opinion, sous prétexte que les mesures climatiques prises par le gouvernement canadien portaient préjudice à l'économie. Tout ça a mis Justin Trudeau sur la défensive. Ainsi que les sorties sur le wokisme et certaines politiques libérales jugées trop inclusives ou favorables à la diversité ethnique ou culturelle, qui ont conduit une partie de l'électorat à se tourner vers les conservateurs. À tel point d'ailleurs qu'on a vu les libéraux reculer sur l’un des fondements de leur identité, la politique migratoire, dénoncée par Pierre Poilievre au motif que le Canada est disloqué et n’arrive plus à son niveau de performance économique passé parce qu’il a perdu le contrôle de ses frontières ou de son système d’immigration.

Nouvelle passe d’armes au Venezuela à l’approche de la cérémonie d’investiture

Le 10 janvier, Nicolas Maduro entend bien prêter serment pour un troisième mandat, car pour lui, c'est une certitude : il a remporté le scrutin présidentiel qui s'est tenu en juillet 2024 par près de 52% des voix contre 43% à l'opposition. Mais ces chiffres sont ceux du Conseil national électoral, totalement acquis à la cause du président sortant et, malgré les accusations de fraude massive, cet organe n’a jamais produit aucun document détaillé à l’appui de ce calcul. Or, l’opposition, elle, l’a fait, en compilant des milliers de récépissés de bulletins électoraux issus des votes électroniques, et en a conclu que Nicolas Maduro était battu à plate couture. Conséquence de ce conflit : des semaines de violences post-électorales, près de 30 morts, 200 blessés et 2 500 arrestations.

Depuis lors, le candidat de l'opposition, Edmundo Gonzalez Urrutia, s'est exilé en Europe pour éviter les rafles du régime, mais se considère toujours comme le président légitime du Venezuela. Il est allé chercher hier à Washington le soutien de la Maison Blanche, d'où il a lancé un appel à l'armée vénézuélienne, appel à la reconnaître comme le seul et unique dirigeant élu du Venezuela. Ce message, très mal reçu par les militaires, lui a valu une réponse cinglante hier de Vladimir Padrino Lopez, le ministre vénézuélien de la Défense : « Nous rejetons catégoriquement cet acte de bouffonnerie politique qui n'aura pas le moindre impact sur la conscience patriotique et révolutionnaire des forces armées bolivariennes. L'armée, en parfaite cohésion politique, populaire et militaire avec les autorités, défendra la Constitution et les lois de notre nation, ainsi que sa liberté et son indépendance. »

Padrino Lopez ajoute que, le 10 janvier, Nicolas Maduro sera bel et bien reconnu comme le président du Venezuela et commandant en chef des armées, et qu'il n'est pas question de lui désobéir. Et pour enfoncer le clou, les forces de sécurité sont déployées dans les rues de Caracas, où l’on s’attend à un coup de chaud, car Edmundo Gonzalez Urrutia, qui a quitté le pays il y a quatre mois, affirme vouloir revenir au Venezuela alors qu'il a déjà un mandat de recherche sur le dos et que le pouvoir promet 100 000 dollars à quiconque permettra de le localiser. Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs explicitement menacé de l’arrêter s’il remettait un pied au Venezuela, mais Maria Corina Machado, l'autre figure de l'opposition, qui vit dans la clandestinité sur le sol vénézuélien, estime que la population en a vu d’autres et que la balle est dans le camp des manifestants. « De toute évidence, le régime n'a plus que la peur. Il a perdu tout soutien populaire, il a perdu toute légitimité et il est complètement isolé. Et nous, les Vénézuéliens, nous savons que si nous sortons tous, des millions d'entre nous, comment quelques centaines ou quelques milliers de personnes armées pourraient-elles s'en prendre à 30 millions de Vénézuéliens ? En fin de compte, la seule façon d'être libre est de vaincre la peur. Nous, les Vénézuéliens, nous l'avons démontré. Et je pense que toutes ces menaces, ce déploiement d'armes et ce langage grossier et agressif proviennent de ceux qui savent qu'ils vont quitter le régime. »

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Attention à la journée de jeudi, veille de la cérémonie d'investiture, où chacun de leur côté, l'opposition et le gouvernement appellent leurs partisans à manifester.

Le cimetière de Falfurrias au Texas, symbole de la crise migratoire

À deux semaines de la prestation de serment de Donald Trump, gros plan sur les migrants, qui figurent dans le collimateur du prochain président américain depuis plusieurs années. Il a promis pendant la campagne présidentielle la plus grande opération d’expulsion de l’histoire américaine, fondée sur une chasse implacable des clandestins qui risquent leur vie pour rejoindre les États-Unis. Reportage d’Eric Samson, notre envoyé spécial dans la petite ville de Falfurrias, au Texas, où le cimetière local fait office de tombeau pour de nombreux migrants fauchés avant la fin d’un périple dangereux et incertain. À écouter dans son intégralité dans l’édition du jour.

L’actualité des Outre-mer avec nos confrères de la 1ère

Malgré les récents évènements politiques liés à la lutte contre la vie chère, la haute saison touristique a plutôt bien démarré en Martinique.