Le prix Nobel de la Paix a été attribué vendredi à l'organisation japonaise Nihon Hidankyo pour sa lutte contre les armes nucléaires après les bombes atomiques larguées par les États-Unis en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki. Une espèce d'arbre qui a survécu à la bombe est devenue un symbole de paix : le ginkgo biloba, l'arbre le plus ancien au monde.
Des oiseaux, des moineaux, chantent dans un ginkgo. Et ce n'est pas n'importe quel ginkgo biloba. C'est un survivant de la première bombe atomique. Mutsumi Fujieda, petite femme souriante, nous a ouvert le portail de sa maison à Hiroshima, qui accueille aussi un temple (son mari est prêtre), pour qu'on puisse admirer de près cet arbre de paix. « Il est très en forme, et même s'il a plus de 100 ans, il est toujours vivant, se réjouit Mutsumi Fujieda. La partie de l'arbre qui est en direction du point d'impact de la bombe n'a pas de branche. »
Nous sommes à deux kilomètres à peine de l'endroit où le bombardier de l'armée américaine, Enola Gay, a largué le 6 août 1945, à 8h15, la première des deux bombes atomiques utilisées contre l'humanité. Un choc planétaire, une ville rasée et 140 000 personnes tuées, selon le chiffre du Mémorial de la paix de Hiroshima. Le ginkgo biloba qui se dresse devant nous mesure une douzaine de mètres de haut. Il pousse entre les marches d'un escalier en béton. « On a dû adapter trois fois la forme de l'escalier parce que l'arbre continuait de grandir. Bien sûr, jusqu'à la fin de ma vie, je vais le protéger pour qu'il continue de vivre. Cet arbre diffuse un message de paix », conclut Mutsumi Fujieda en faisant avec ses doigts le signe de la paix.
Symbole de résilience
Le ginkgo biloba est entré dans la légende après le 6 août 1945. C’est l’arbre qui a résisté aux radiations, devenu un symbole de résilience et de paix. « On n'a pas vraiment d'explication à ça, sinon qu'on a observé, effectivement, que les arbres ont produit de nouvelles pousses après l'explosion. Mais ce n'est pas la seule espèce, nuance Germinal Rouhan, botaniste, maître de conférences au Museum national d’Histoire naturelle à Paris. D'autres arbres ont résisté à la bombe atomique : des eucalyptus, des saules, des ailantes. Le ginkgo est un peu l'arbre qui cache les autres espèces. »
Le ginkgo, c’est vrai, fascine. C’est la plus ancienne lignée d’arbre sur la planète, déjà présente il y a plus de 200 millions d’années, rescapée de l'ère primaire qui a traversé les multiples épreuves des temps géologiques. L'arbre fascinait déjà le naturaliste britannique Charles Darwin, qui l'avait décrit comme une « espèce fossile ». Une notion aujourd'hui dépassée : « Même lentement, toute espèce vivante évolue », souligne Germinal Rouhan.
Extrême résistance
Le ginkgo biloba appartient donc à la lignée d'arbre la plus longue, et chaque individu possède lui-même une longévité exceptionnelle. Un ginkgo biloba peut vivre plus de 1 000 ans grâce à une extrême résistance. « En 2019, donc assez récemment, une publication scientifique a mis en évidence des mécanismes moléculaires spécifiques de lutte contre le vieillissement développés par cette espèce, explique Germinal Rouhan. On sait aussi que le ginkgo possède des systèmes de défenses efficaces contre les pathogènes. Enfin, les ginkgos sont résistants à la sécheresse et assez adaptés au changement climatique, puisqu'il y a eu de multiples changements climatiques au cours des temps géologiques que le ginkgo a traversés depuis plus de 200 millions d'années ».
Les ginkgos sont résistants, mais, c'est un paradoxe, car aujourd'hui, l'espèce est menacée de disparition. « Elle est plantée un peu partout dans le monde, y compris dans les villes. Donc, tout le monde, ou presque, sait bien ce qu'est un ginkgo. Mais dans la nature, elle est devenue rare et même menacée, classée en danger d'extinction sur la liste rouge de l'UICN, l'Union internationale pour la conservation de nature. »
Plusieurs ginkgos bilobas ont survécu au bombardement de Hiroshima, et l'arbre possède une aura particulière au Japon. Tokyo, la capitale, a fait de ses feuilles (formées de deux lobes, sans nervure centrale), son symbole officiel. À Hiroshima, le ginkgo du jardin Shukkei-en, au tronc penché, est spectaculaire. Ses graines ont été envoyées partout sur la planète, comme autant d'appels à la paix dans le monde. Mais la botanique ne fait pas toujours des miracles.