Les secouristes espagnols sont toujours au travail pour aider les rescapés des inondations dramatiques de la semaine dernière et pour tenter de retrouver les disparus. La colère de la population est de plus en plus grande, en témoigne l’accueil houleux réservé dimanche au roi et à la reine d’Espagne, ainsi qu’aux officiels qui les accompagnaient. Pour François Gemmene, professeur à HEC et directeur du programme scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, la question de la responsabilité est en effet importante pour les victimes de la catastrophe.
RFI : Le déplacement du roi Felipe VI et du premier ministre Pedro Sanchez dans la région de Valence a été marqué par des heurts. Comment expliquez-vous cette réaction de la population ?
François Gemmene : C'est une réaction assez classique qu'on observe après toutes les catastrophes climatiques et je crois, après toutes les catastrophes. La population a besoin qu'on désigne des coupables, a besoin de pouvoir identifier qui est responsable de la catastrophe. En l'occurrence, lors des inondations dans la région de Valence, il y a eu à l'évidence toute une série de dysfonctionnements politiques, notamment sur la manière dont l'alerte a été donnée à la population tout au cours de la journée. Les autorités ont refusé d'interrompre la vie économique, ont pensé que l'orage allait s'éloigner et on voit malheureusement les conséquences catastrophiques de ce retard à prévenir les gens. Et donc évidemment, il y a une colère de la population qui se rend compte que de vies humaines auraient pu être sauvées.
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Cette catastrophe météorologique a, comme d’autres, été dopée par les effets du réchauffement climatique. Dans quelle mesure est-ce que cette nouvelle donne est prise en compte par les victimes ?
La population en a conscience. Mais pour autant, ce n'est pas un discours qui est audible par les victimes de l'inondation, parce qu'elles auraient l'impression qu'on les rend en quelque sorte responsables de leurs propres malheurs. On le voit après chaque catastrophe climatique, qu'elle se produise dans un pays du Sud ou dans un pays industrialisé. C'est un discours qui est difficilement audible, notamment parce que les populations touchées ont l'impression que le changement climatique est utilisé comme une forme d'alibi par les politiques locaux pour se dédouaner de leurs responsabilités et pour se défausser, en quelque sorte, sur le changement climatique.
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Dans son dernier rapport, le Giec écrivait que la multiplication et l’intensification des catastrophes climatiques pouvaient entraîner un risque de déstabilisation politique. Est-ce un phénomène déjà observé ?
Il est certain que si un État, si un gouvernement ne parvient plus à répondre aux besoins de sa population, il y a un vrai risque de déstabilisation politique. À petite échelle, c'est ce qu'on a pu observer avec la contestation de la visite du roi et des autorités sur les lieux des inondations.
On l'a vu aux États-Unis il y a quelques semaines avec le passage des ouragans Hélène et Milton ; on le voit en Espagne : la réponse d'urgence est critiquée comme n'étant pas au niveau. Est-ce qu'il y a une vraie culture à mettre à jour ?
Clairement. On a sous-estimé l'importance que pouvait avoir cet orage. Il y a à la fois une remise en cause qui est à faire concernant l'alerte précoce qui permet l'évacuation des populations pour sauver des vies. Il y a aussi, je pense, une remise en cause plus fondamentale qui doit se faire sur les politiques de bétonisation et d'artificialisation des sols. On voit bien que c'est quelque chose avec lequel on a encore beaucoup de mal. Il suffit de voir les efforts qui sont déployés en France en ce moment pour essayer d'amoindrir la portée de la loi « zéro artificialisation nette », qui est typiquement une loi de protection contre le risque d'inondation.
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Mais comme vous le dites, paradoxalement, ce genre d'événement ne permet pas d'accélérer la mise en œuvre de cette adaptation.
Non. Je pense qu'on commettrait une grave erreur de naïveté en pensant que c'est ce type d'événement qui va nous faire réagir. Très clairement, ce n'est pas ce qu'on observe. Plusieurs études empiriques montrent que les personnes victimes d'une catastrophe ne sont pas nécessairement plus enclines à lutter contre le changement climatique. Il ne faut donc absolument pas compter sur la « pédagogie de la catastrophe » pour déclencher l'action.
A contrario, on voit que dans certains cas, comme lors des inondations dans le nord de la France l'hiver dernier, que la faute a été reportée sur les politiques écologistes qui empêchaient le curage des fossés, par exemple.
Tout à fait. C'est-à-dire qu'il y a cette volonté de chercher des coupables, de pouvoir identifier quelle est la cause de son malheur, quelle est la cause de la catastrophe. Cela conduit parfois à une instrumentalisation de la catastrophe dans des buts politiques. Cela peut amener certaines fois des réactions qui vont a priori contre des mesures de prévention, et contre des mesures d'adaptation. Il y a en effet une sorte de priorité qui consiste à vouloir retrouver ce qu’on avait avant ; c’est aussi une manière psychologique de surmonter la catastrophe.
Dans ce contexte, comment agit-on efficacement ?
Le meilleur moyen d'en sortir, c'est d'essayer de faire de la transition un véritable projet mobilisateur et rassembleur pour un territoire. La lutte contre le changement climatique, ce n'est pas renoncer à ce qu'on avait avant, c'est au contraire construire le futur, le rendre désirable. Aujourd'hui, on raisonne trop en termes d'acceptabilité. Je crois que l'enjeu, ce n'est pas de rendre le futur acceptable, mais désirable. Je pense, hélas, que pour beaucoup de politiques, le défi est de rendre ces mesures de transition acceptables aux yeux de leurs électeurs. Si on en reste à ce stade, on ne va pas aller très loin, on va prendre des mesures à la marge qu'on acceptera du bout des lèvres et dont on cherchera à se débarrasser à la première occasion venue.
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