Un procès hors norme s’ouvre ce jeudi 7 novembre à Marseille, celui de la rue d’Aubagne, six ans presque jour pour jour après la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles en plein centre-ville. Depuis, des dizaines d’associations et collectifs de citoyens se mobilisent, car le drame est devenu un symbole de la lutte contre les logements indignes.
Impossible d’ignorer la dent creuse de la rue d’Aubagne, cet espace blanc laissé par les bâtiments 63 et 65, qui tranche avec le ciel bleu de Marseille. Six ans après le drame, une centaine de personnes écoutent les proches des huit victimes.
Une proche de Fabien Lavieille a laissé un message : « Le 5 novembre 2018 à 8 h 55, Fabien a appelé sa maman, car il ne parvenait plus à ouvrir la porte de son appartement [...] Il a littéralement vu l’immeuble lui tomber dessus sans rien pouvoir faire. Sa maman n’a jamais eu la force de revenir à la rue d’Aubagne [...] mais elle aurait souhaité dire à quel point elle a été touchée par la mobilisation citoyenne et par tout ce que les collectifs ont réalisé. »
Soutenir la justice
C’est dire l’importance qu’a pris la société civile dans la lutte contre l’habitat indigne : il y a eu un avant et un après le drame, confirme l’avocate Chantal Bourglan, désormais retraitée. Elle lutte depuis des années contre les logements indignes et s’est occupée des dossiers de certaines familles de la rue d’Aubagne : « Ça a été un électrochoc pour la société civile marseillaise de voir qu’une ville d’une importance telle que Marseille pouvait avoir tant de logements indignes, dangereux pour la vie et la santé des gens. Et là, c’est vrai qu’il y a eu un mouvement très fort à partir du collectif et ça a changé énormément de choses quand même »
Les bénévoles ont aussi été un soutien majeur pour les avocats. Ils ont aidé à constituer des dossiers, pour le procès ou pour aider une partie des 8 000 personnes délogées dans la vague d’évacuations d’immeubles délabrés qui a suivi le drame. « Toutes ces associations, ces collectifs, nous ont beaucoup aidés pour monter les dossiers parce que les personnes n’étaient pas en capacité, vu le traumatisme qu’elles avaient subi, de réunir des documents, les preuves, les éléments, savoir vers quel avocat, vers quelle structure aller », abonde Chantal Bourglan.
À écouterDrame de la rue d’Aubagne à Marseille: «Une rupture sociale et une rupture politique»
Prévention directe chez l’habitant
Les associations planifient leurs actions grâce aux réseaux sociaux, notamment sur WhatsApp. Elles organisent des séries d’ateliers ouverts à tous sur l’habitat indigne, ou encore des porte-à-porte pour vulgariser les enjeux du procès qui commence ce jeudi 7 novembre.
Un travail de prévention qui passe aussi par une vigilance directe chez les habitants de Marseille. Mélina Foubert est cheffe de projet à l’association des Compagnons bâtisseurs Provence, qui pratique l’auto-réhabilitation accompagnée, c’est-à-dire la réparation par les locataires : « On travaille sur des visites à domicile qui nous permettent de faire des diagnostics dans les logements, et de pouvoir flécher des travaux à la charge des locataires. On les accompagne à ce niveau-là. Et aussi pour faire valoir les droits des locataires sur des désordres au bailleur, d’engager des médiations, voire plus si l’on voit que le propriétaire ne réalise pas les travaux nécessaires. »
Le soutien des citoyens n’est pas que logistique, mais aussi émotionnel. Ouafa Labbani a habité quatre ans dans un logement insalubre et témoigne régulièrement dans des ateliers. Le collectif des habitants du 3ᵉ arrondissement de Marseille, le CHO3, l’a accompagnée dans cette période difficile : « J’ai payé des marchands de sommeil. [Le CHO3] ils m’ont toujours poussé, ils me disaient “tu es une maman forte, essaye de patienter, tu vas réussir”. Ils ont couru avec moi, à gauche, à droite ».
Élargir l’enjeu
Les associations sont en contact avec des habitants de Lille, Grenoble et même de Californie, qui sont intervenus dans le quartier juste avant le procès pour témoigner lors de tables rondes sur les situations de leurs villes respectives.
Pour Kevin Vacher, membre du Collectif du 5 novembre et habitant du quartier de la rue d’Aubagne, l’habitat indigne est partout. « Le procès va le démontrer parce qu’il met l’ancienne mairie de Marseille sur le banc des accusés. Mais il y met aussi un syndic, un bailleur social, des copropriétaires, un expert. Et ça, c’est caricatural des situations de l’habitat indigne qu’on connaît partout en France, voire dans le monde, c’est l’occasion pour nous de discuter de la systémie de l’habitat indigne », explique le militant.
Aujourd’hui, les choses bougent peu à peu à Marseille, avec une charte pour protéger les personnes délogées, mise en place grâce au travail des habitants, des collectifs et des associations.
Le procès va durer jusqu’au 18 décembre : il compte 87 parties civiles et devra déterminer la responsabilité de 16 prévenus, dont un adjoint de Jean-Claude Gaudin, le maire de l’époque. Une étape marquante, une parmi les nombreuses qui ponctuent le long chemin de la lutte contre l’habitat insalubre : au moins 600 000 logements sont encore considérés comme indignes en France.
À écouter dans 8 milliards de voisinsSommes-nous trop nombreux pour vivre dans un habitat décent?