100% Création vous propose une série spéciale, en neuf épisodes, « Les rebâtisseurs de Notre-Dame ». Cinq ans après l'incendie de la cathédrale, nous partons à la rencontre des compagnons, artisans d’art ou designers qui ont travaillé sur cette rénovation de ce chantier. Aujourd’hui, le métier de facteur d’orgues avec Bertrand Cattiaux. Les facteurs d’orgues imaginent, conçoivent, construisent, entretiennent, accordent, réparent et restaurent les orgues.
Un univers souvent méconnu, alors qu’en France, il y a près de 10 000 instruments dont plus de 1 500 orgues protégés au titre des monuments historiques. Comme celui de Notre-Dame de Paris, sauvé des flammes. Explications de Bertrand Cattiaux, facteur d’orgue.
« Le facteur d'orgues est à la fois un créateur et un restaurateur, donc ce sont deux branches de métiers un peu différentes. Cela touche la création ou la restauration d'orgues à tuyaux qui se trouvent principalement dans les églises, surtout en France ».
Il décrit les différentes facettes de son métier : « Au cours de ma carrière, j'ai eu la chance de restaurer des instruments de différentes époques en partant du XVIᵉ siècle jusqu'au XXᵉ siècle. Et j'ai aussi fait de la création d'orgues, entièrement neufs, en partant d'une feuille blanche. Ce sont deux approches totalement différentes. Le restaurateur, par essence, doit se retirer devant l'œuvre, alors que le créateur doit se mettre en avant ».
Né à Étampes, près de Paris, Bertrand Cattiaux découvre sa passion pour la musique très jeune. Fasciné par l’orgue de l’église de son enfance, il apprend à en jouer, puis il commence son apprentissage à 17 ans, avec une première rencontre avec Notre-Dame de Paris.
« Le jour où je suis arrivé, j'étais émerveillé de voir ce monument. C'est un immeuble de trois étages rempli de coursives, de tuyaux, de mécanismes diverses, etc. Donc, oui, c'est un instrument très impressionnant, mais très bien agencé, où tous les recoins de l'orgue sont accessibles sans trop de difficulté, ce qui n'est pas souvent le cas d'ailleurs. Et puis c'est Notre-Dame, il y a la majesté du lieu. Oui, c'était merveilleux et cela l'est resté. Donc, vous comprenez que Notre-Dame fait partie de mon parcours depuis 50 ans. Depuis 50 ans, je vais régulièrement à Notre-Dame », raconte-t-il.
Après avoir été pendant 20 ans l’associé de son maître d’apprentissage, en 1998, il fonde l'Atelier Bertrand Cattiaux en Corrèze, où il conçoit et restaure de nombreux instruments et gagne une renommée internationale. Il a été honoré de titres prestigieux, comme celui de Maître d’art et Chevalier des Arts et des Lettres. De l’orgue de l'église de son enfance aux chantiers de restauration d'orgues prestigieux, tels que ceux de la basilique Saint-Denis, et de Notre-Dame de Paris, sa carrière le renvoie toujours à l’harmonie entre le son et l'architecture.
« J'ai aimé toute mon existence d'apprenti, et j'ai été apprenti pendant plus de quinze ans, donc je n'ai pas eu de plaisir plus intense à faire des sommiers, une des pièces compliquées de bois, que de faire des réservoirs, des tuyaux ou une mécanique. Mais aujourd'hui, je travaille plus le son, qui est la finalité. Je prends plaisir à pouvoir travailler un tuyau et lui donner la couleur sonore que l'on veut. Il y a une belle expression qui est sculpteur sur vent et effectivement, nous partons d'un tuyau qui est une pièce technique, à laquelle nous pouvons faire dire ce que nous voulons en fonction de paramètres déjà choisis. C'est très enthousiasmant ! Il faut avoir pris conscience et connaissance de l'acoustique du lieu pour pouvoir créer le son. Pour faire un orgue de style français, XVIIᵉ ou XVIIIᵉ ou XIXᵉ. Mais pour pouvoir dominer toutes ces différentes technicités de chaque époque, il faut les avoir pratiquées », explique le facteur d'orgues.
Traquant les secrets de la facture d'orgues, Bertrand Cattiaux manie bois et métal avec habileté. Il partage, avec l’orgue de Notre-Dame de Paris, une histoire toute singulière. Un orgue exceptionnel par sa taille et sa musicalité ainsi que sa valeur historique. Bertrand Cattiaux a suivi les évolutions successives de l’orgue de Notre-Dame de Paris. Il est l'un des principaux restaurateurs et un lien sans faille l’unit à la cathédrale.
« L'orgue de Notre-Dame a toujours évolué au fil des siècles. Il a été créé au début du XVIIIᵉ, et il a évolué au cours du XVIIIᵉ et puis au XIXᵉ. La grande restauration du temps de Viollet-le-Duc, par le facteur Aristide Cavaillé-Coll de 1868. Et puis l'orgue a encore un peu évolué, et en 1960, l'orgue n'est plus mécanique, il est électrifié, ce qui est une révolution. L'électrique, c'est bien, mais cela a un temps de vie limité. Dans les années 1980, nous maintenions l'orgue à bout de bras parce que tous les éléments électriques étaient usés et il fallait effectivement les changer. Le ministère de la Culture a pris la décision de faire une grande restauration. Alors, il y a quand même eu en 2012-2014 une autre campagne de ce qui s’appelle un relevage, c'est-à-dire déposer et nettoyer la tuyauterie, et nous changeons certaines pièces si besoin. L'informatique de 1990 était obsolète. Nous avons, donc, fait évoluer cette partie, et en 2014 nous avons rajouté un plan sonore. C'était encore une évolution quand même assez importante de l'instrument et tout le monde était d'accord à dire que l'orgue avait une espèce de plénitude et était abouti », raconte Bertand Cattiaux.
Bertrand Cattiaux a été soulagé d’apprendre que l’orgue n’avait pas été touché par le feu.
« L'incendie ne l'a pas endommagé, n'a rien fait fondre ou autre. Tout a été rempli de poussière de plomb. Il y a eu un peu d'eau, mais pas énormément. Mais après, il est resté pendant un an et demi presque à l'air libre puisque le trou de la voûte n'était pas bouché. Et c'est là qu'il y a eu plus de dommages dus aux différences d'hygrométrie, de chaleur, etc. En 2022, nous avons démonté l'instrument pour le restaurer pratiquement, comme on l'avait fait en 1990."
Pour ce chantier hors normes, la mise en œuvre est assez inhabituelle, plusieurs équipes et entreprises sont intervenues de concert avec celle de Bertrand Cattiaux.
« C'est un chantier extraordinaire, extra-ordinaire, vraiment. Il y a 700 personnes en permanence, donc il faut inclure dans toute cette logistique et nous n’en avons pas l'habitude. Nous, quand nous arrivons dans une église, nous sommes les seuls à travailler dans l'église, nous ne voyons jamais personne, et là, il faut interagir avec tout un tas de corps, de métiers. Et puis il y a l'environnement sonore qui est très bruyant au sein de la cathédrale et donc qui nous a obligés, en tout cas pour la partie harmonisation d'ailleurs, on ne réharmonise pas l'orgue de Notre-Dame, on le réégalise, puisque nous le remettons comme il était en 2014. Mais bon, il faut quand même travailler sur les tuyaux et pour cela, il faut un silence total. Nous avons travaillé à deux équipes, une équipe qui fait la nuit, l'égalisation et une équipe qui, dans la journée, malgré le bruit, peut accorder, parce que l'accord et l'harmonie sont deux choses différentes. Nous pouvons accorder quand nous sommes au-dessus du tuyau, nous entendons très fortement les battements puisque quand un tuyau n'est pas juste, il va y avoir des battements qui créent des ondulations et donc nous pouvons l'accorder à l'oreille ou avec une machine électronique, aujourd'hui, pratiquement parfaitement, malgré le bruit ambiant. Nous arrivons plus facilement à travailler dans un environnement plus serein », décrit-il.
L'expérience unique de travailler sur un chantier d'une telle ampleur à Notre-Dame de Paris a permis à Bertrand Cattiaux de côtoyer des artisans de tous horizons, renforçant l'idée de communauté et de partage des savoirs.
« Sur ce chantier, nous rencontrons les compagnons, des pierreux, des charpentiers, des couvreurs, etc. Et pour moi, c'est une belle expérience. Nous sentons une communion de compagnonnage. Une fois que nous avons passé la barrière pour rentrer dans le chantier, nous pouvons aller n'importe où. Et, je ne me prive pas, moi, d'aller dans les parties supérieures pour voir justement les charpentiers au travail ou les couvreurs ou tailleurs de pierre, etc. C'est assez éblouissant. C'est émouvant de revoir la façon dont tout cela a été recréé de façon exceptionnelle, avec les mêmes techniques, etc. C'est très émouvant et cela fait plaisir », relate avec émotion Bertand Cattiaux.
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