Pour espérer inspirer durablement confiance à des peuples africains héréditairement dans le doute quant à sa sincérité, la France devrait, aux courages parcellaires, substituer une politique claire, qui ne varie pas au gré des rapports que le chef de l’État français peut entretenir avec tel ou tel de ses homologues africains. Une politique qui survive au temps et aux hommes.
À son tour, Paul Biya s’est vu remettre, cette semaine, le rapport des chercheurs sur le rôle et l’engagement de la France contre les mouvements indépendantistes et d’opposition du Cameroun, de 1945 à 1971. Emmanuel Macron pourrait-il, avec cette quête historique qu’il a initiée, espérer se rallier les opinions africaines ?
Cette initiative dénote un courage politique, qui aurait pu lui valoir, en effet, l’indulgence d’une Afrique scrupuleuse sur les crimes et violences de l’ère coloniale. Mais, certains héritiers politiques de Ruben Um Nyobe contestent à la France le droit d’initier un tel projet. Car, pour eux, elle est le bourreau. Au-delà des réserves de certains Camerounais, c’est Emmanuel Macron lui-même qui altère l’impact de son initiative. Comme avec l’Algérie, avec le Rwanda, ou même le massacre de Thiaroye. Chaque fois, sans recevoir en retour la gratitude espérée. Probablement parce que nul ne comprend pourquoi certains, et par exemple pas Madagascar, où l’on a chiffré à près de 90 000 morts la répression de la révolte de 1947. Les courages parcellaires n’ont jamais remplacé une politique. Alors qu’il s’achemine vers la fin de son second mandat, rien ne laisse espérer qu’Emmanuel Macron aura les moyens d’engager et de faire aboutir d’autres initiatives similaires, partout où la violence coloniale a laissé de vives rancœurs. Il s’est parfois contenté de faire plaisir à tel ou tel pouvoir, dans quelques pays, oubliant de marquer son temps avec une politique valable pour tous. Il peut donc difficilement espérer voir l’Histoire le retenir comme le président qui aura vidé les contentieux coloniaux de la France.
Il ne manquait pourtant pas de volonté vis-à-vis de l’Afrique…
Entre Emmanuel Macron et l’Afrique, ç’aura été un perpétuel malentendu. Avec, certes, quelques initiatives dont aucun de ses prédécesseurs n’avait eu le courage. Mais, par les insuffisances de sa méthode, lui-même anéantissait l’impact de ses mesures. Ainsi de la restitution des œuvres d’art pillées à certains peuples durant la colonisation, et dont quelques-uns attendent toujours leur part. Ainsi du démantèlement, de gré ou de force, des bases militaires. De la suppression du compte d’opération des banques centrales de la zone Franc auprès du Trésor français, et de bien d’autres mesures courageuses, inédites depuis la fin de la colonisation. Ces audaces éparses ne lui vaudront pas la sympathie des peuples africains, tant qu’elles ne seront pas scellées par une politique claire et durable.
En somme, la France ne peut espérer la compréhension de la jeunesse africaine en traitant séparément la violence coloniale…
Tous les cas particuliers s’inscrivaient dans une politique globale. D’ailleurs, certains acteurs coloniaux, pour avoir fait la preuve de leur brutalité dans une colonie, étaient souvent envoyés sévir dans d’autres. L’histoire des peuples africains est bien trop imbriquée pour espérer la traiter efficacement en… pièces détachées ! Savez-vous, par exemple, que l’officier français qui orchestra le coup d’État qui a coûté la vie à Sylvanus Olympio, en 1963 au Togo, était, auparavant, un acteur central de la répression des maquis de l’UPC au Cameroun ? Se rappelle-t-on que les soldats à l’origine de ce putsch sanglant revenaient d’Algérie, après les Accords d’Evian ? Sait-on seulement que la rancœur de ces soldats venait du refus de Sylvanus Olympio de les intégrer dans l’embryon d’armée du Togo, sous prétexte qu’ils étaient partis d’eux-mêmes s’enrôler volontairement dans l’armée française à Ouidah (au Bénin), pour combattre les Algériens qui se battaient alors pour leur indépendance, pendant que les Togolais, eux, luttaient pour leur propre indépendance ? Chaque peuple aspire à comprendre les conditions déterminantes dans lesquelles s'est noué son destin. L’enjeu, pour la France, est d’inspirer durablement confiance à des peuples héréditairement dans le doute, quant à sa sincérité. Cela suppose une politique qui ne varie pas au gré des circonstances et des rapports que le chef de l’État français peut entretenir avec tel ou tel de ses homologues. Bref, une politique qui survive au temps et aux hommes.