Législatives allemandes: la stratégie périlleuse du favori des sondages Friedrich Merz


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Feb 07 2025 4 mins   18

L’Allemagne est polarisée alors que la campagne des législatives anticipées entre dans sa phase finale. Le favori des sondages, le patron de la CDU/CSU, Friedrich Merz, fait face à un front de contestation, y compris au sein de son propre parti, depuis qu’il a tenté, à deux reprises, de faire adopter des mesures sur l’immigration avec les voix de l’AfD.

En décidant de s’appuyer par deux fois sur l’extrême droite pour tenter de faire passer au Bundestag des textes contre l’immigration, Friedrich Merz a brisé un tabou et provoqué un séisme politique. Ses propositions de contrôles permanents aux frontières et de refoulement des demandeurs d’asile « sans-papiers » n’ont été adoptées qu’avec les voix de l’AfD. Jusque-là, aucun parti n’avait encore rompu le « cordon sanitaire » autour de l’extrême droite allemande.

Dans un entretien à Ouest-France, le patron de la CDU répète qu’il exclut « toute coalition, tout arrangement, toute forme de coopération avec l’AfD ». Cela sera-t-il suffisant pour rassurer les électeurs modérés du parti ? « Il est très clair que la CDU et ses électeurs ne pourraient pas accepter une véritable alliance avec l’AfD, sous peine d’éclatement du parti. M. Merz le sait et il ne prendra pas ce risque », commente Éric-André Martin, spécialiste de l’Allemagne, ancien directeur de programme à l’Ifri. Mais en choisissant de mettre l’accent sur l’immigration et en faisant voter sa motion grâce aux voix de députés d’extrême droite, il a suscité des réactions hostiles dans l’opinion et provoqué des manifestations importantes dans le pays. « Il polarise et il rendra les choses plus difficiles pour lui s’il ressortait victorieux des élections », souligne Éric-André Martin.

En dépit de ce faux pas, dont les conséquences pourront se mesurer le 23 février, Friedrich Merz et son Union chrétienne démocrate restent les favoris des sondages. Friedrich Merz conserve ses chances de prendre la place d’Olaf Scholz à la Chancellerie. Si la CDU/CSU continue de mener la course en tête, le durcissement du ton sur l’immigration, dans la foulée de l’attaque au couteau perpétrée le 22 janvier par un jeune Afghan à Aschaffenbourg, en Bavière, provoque de vives réactions. En faisant adopter une motion non contraignante sur l’immigration avec l’aide de l’extrême droite, puis en échouant à faire voter une proposition de loi visant à refouler tous les migrants à la frontière et à restreindre le regroupement familial, il semble avoir perdu des points. De 34-35 % d’intentions de vote, la CDU passe aujourd’hui à 29-30 %.

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CDU toujours en tête

Le candidat des Verts à la chancellerie, le ministre de l’Économie Robert Habeck, cité par Deutschlandfunk, a déclaré qu’il ne pouvait pas imaginer que les événements de la semaine dernière « n’aient aucune influence sur la décision de vote des Allemands ».

Face aux critiques et mouvements de protestation, lors du Congrès de la CDU lundi 3 février, Friedrich Merz a continué de se justifier : « La grande majorité de la population est d’accord avec nous que les choses ne peuvent pas continuer ainsi, par exemple, en matière de politique migratoire. La minorité sociale et politique, de plus en plus petite en Allemagne, se bat actuellement désespérément pour conserver son pouvoir de décision dans notre pays ».

Ses prises de position divisent pourtant jusqu’au sein même de la CDU. À cette occasion, sa vieille rivalité avec Angela Merkel a refait surface. L’ancienne chancelière est sortie de sa réserve pour dénoncer le tournant pris par la droite allemande. « Il n’a pas pu éviter la confrontation avec les Merkeliens », souligne le politologue allemand Werner Patzelt, membre de la CDU, qui estime que les « chances de Friedrich Merz de sortir vainqueur de ce conflit » sont grandes.

Douze députés chrétiens-démocrates ont pourtant refusé de voter une proposition de loi de la CDU aux côtés de l’AfD vendredi 31 janvier, faisant échouer d’adoption du texte. « Il a toujours critiqué la politique d’immigration d’Angela Merkel de même que sa politique sociale. Il a promis aux membres de la CDU de changer ce programme politique et c’est exactement ce qu’il a fait la semaine passée », avance le politologue, considéré comme un influenceur de la nouvelle droite, professeur de sciences politiques au Mathias Corvinus Collegium à Bruxelles, un établissement financé par l’État hongrois.

Le rapprochement de circonstance du député de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avec l’AfD risque de compliquer les choses, bien au-delà des tiraillements entre les divers courants du parti. Friedrich Merz doit s’attendre à ce que la constitution de coalitions soit délicate. Après le vote de la semaine dernière, des membres du SPD se sont prononcés contre une éventuelle coalition avec l’Union chrétienne démocrate. Les négociations avec les autres partis risquent d’être tendues et la CDU devra sans doute réduire ses ambitions. Rien ne dit qu’il pourra, au final, mener sa politique d’immigration très stricte, reconnait Werner Patzelt. « Cela dépend évidemment du score qu’il atteindra, mais les négociations qui suivront le scrutin seront délicates, parce que les socio-démocrates savent que l’Union chrétienne-démocrate n’a pas d’alternative, donc le poids du SPD sera très important. Par ailleurs, la CDU/CSU risque de ne pas pouvoir effectuer la plupart de son programme politique ».

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Négociations délicates en perspective

La CDU de Friedrich Merz porte un programme libéral au plan économique et conservateur au plan social, radicalement opposé à celui des sociaux-démocrates sur la quasi-totalité des sujets fédéraux. La percée de l’AfD dans les sondages contribue aussi au durcissement de son programme sur les questions migratoires. Lors de leurs congrès, les démocrates-chrétiens ont adopté un catalogue de 15 mesures à mettre en œuvre « immédiatement » en cas de victoire au scrutin législatif, parmi lesquelles le renvoi de tous les étrangers qui se présentent sans papiers à la frontière, y compris les demandeurs d’asile, et le placement en rétention illimitée d’étrangers délinquants. Ces projets risquent de se heurter au droit européen. Selon les règles de Dublin, l’Allemagne n’est pas autorisée à rejeter purement et simplement les demandeurs d’asile sans examen des demandes.

Si l’élu rhénan de 69 ans a toujours été profondément européen, sur cette question de l’immigration comme sur d’autres, il risque d’être en opposition à Bruxelles. Éric-André Martin n’exclut pas des tensions à venir avec les partenaires européens et en particulier la France sur les questions financières. Le millionnaire rhénan, ancien président de la succursale allemande de BlackRock, cherche à replacer au centre du débat public la question de l’économie. Parmi les dossiers qu’il aura à traiter s’il parvient à la Chancellerie, Friedrich Merz devra s’employer à rétablir la compétitivité de l’économie allemande.

« La marge de manœuvre qui est la sienne ne lui permettra pas, ou difficilement, d’être ouvert à des questions de financements européens communs. Il va devoir produire des résultats, il aura une forte pression qui réduira sa marge de manœuvre et il sera moins enclin au compromis et à la discussion sur des questions européennes qui ne seront pas pour le moment prioritaires par rapport à l’agenda purement national qui sera le sien », pronostique Éric-André Martin.

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