Les «héritiers», ou les gardiens des films des pionniers du 7ème art africain


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Feb 09 2025 5 mins   1

Le cinéma africain est un véritable patrimoine qui n’est pas toujours bien mis en valeur ou correctement préservé. Aussi plusieurs filles ou fils des pionniers du septième art africain se sont réunis pour pérenniser leurs œuvres et les faire connaître au plus grand nombre. Un regroupement informel qu'ils ont surnommé avec facétie « les héritiers ».

Alors qu'on célèbre dans un cinéma de quartier parisien le centenaire de Paulin Soumanou Vieyra, Stéphane son fils, avec un soupçon d'ironie nous explique comment l'idée des « héritiers », un groupe informel d'enfants et de conjoints de cinéastes, a vu le jour. « Notre seul problème, sur le continent africain, c'est d'être sûr que la préservation des œuvres sera éternelle. C'est ça le but de l'association, la préservation et aussi la vulgarisation, pour que les gens sachent que ça existe et qu'ils puissent l'utiliser. Parce que ma mère m'a dit : "Ton père, il a fait quelque chose d'énorme, une grosse œuvre. Il faut la préserver et la partager. Prenez-la !" Et aujourd'hui, tout est aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que c'est là qu'on a eu les financements pour numériser, organiser, restaurer toutes les archives. Nous avons deux structures aux États-Unis dans la même université de l’Indiana. Une pour les archives photos, papier, audio et une autre pour les films au niveau des négatifs ».

Numériser, organiser, restaurer toutes les archives

Stéphane Vieyra et ses frères et sœurs ont créé l'association PSV pour leur réalisateur de père. Henriette Duparc, elle, a initié à Abidjan la « Fondation Henri Duparc » pour protéger et valoriser l'œuvre du cinéaste ivoirien.

« D'abord, il faut connaître », explique-t-elle « la production d'un film. Comment ça se passe ? Il faut ensuite retrouver les laboratoires où sont stockés, les éléments. C'était souvent un jeu de piste : retrouver où sont les négatifs et puis ensuite savoir qu'est-ce qu'on va en faire, dans quel état ils sont ? Est-ce qu'il y a nécessité de les restaurer où les stocker ? Pour nous c'était d'autant plus compliqué que Henri Duparc a laissé huit longs métrages et ce n'était pas rien ! Ce sont toutes ces questions-là, que les héritiers se posent quand ils se retrouvent avec tout ce patrimoine à gérer ».

Parmi les membres de ce petit groupe informel des « héritiers », on trouve les fils de Désiré Écaré ou d'Ousmane Sembène, la fille d'Ababacar Samb et également les deux filles de Sarah Maldoror, Henda et Anouchka De Andrade. Anouchka qui revient sur la nécessité entre héritiers de s’entraider.

« Alors d'abord, c'était pour qu'on soit au courant des événements des uns et des autres. Ensuite, c'est une source d'information parce qu'il y a beaucoup de personnes qui se retrouvent héritières d’une œuvre et il faut la faire vivre. Mais ils ne savent pas parce que tous n'ont pas eu la chance d'avoir travaillé dans le cinéma. Par exemple : comment négocier les droits, ce qu'il faut faire ? Où aller chercher ? Où sont les labos ? etc… Donc quand une personne de notre groupe a une question, il la pose. Et puis l'un de nous répond : « fais comme ci. Voilà ce que moi j'ai fait. Je te recommande ça. Surtout ne va pas avec untel, c’était une mauvaise expérience ! ». Voilà, c'est juste quelque chose de totalement informel mais de très vivant où l’on s'invite, on s'informe et on échange sur les bonnes pratiques ».

Denis Garcia est, lui, le directeur général d'Archive TV, une société française qui travaille en ce moment à la restauration de En résidence surveillée de Paulin Soumanou Vieyra.

Une œuvre qui n’est pas diffusée est irrémédiablement perdue

« Les héritiers quand on leur parle il faut comprendre qui ils sont, c'est-à-dire : est-ce qu’ils ont hérité des droits d'auteur ? Des droits du réalisateur ? Est-ce qu'ils ont les droits de la production ou pas ? Et souvent il n’y a pas les deux, donc on se retrouve coincés. Quand il s'agit de cinéma français, il y a une loi qui favorise l'exploitation suivie des œuvres et donc une œuvre qui dormirait, qui ne serait pas exploitée par ceux qui sont propriétaires des négatifs, il y a un peu moyen de "forcer les choses" pour que l'œuvre ne soit pas perdue et oubliée. Une œuvre qui n’est pas diffusée, elle est irrémédiablement perdue, ne serait-ce que dans les mémoires des potentiels spectateurs ».

Des spectateurs qui à New-York en mai prochain au Moma, pourront voir l'intégrale de l'œuvre de Sarah Maldoror, après un hommage qui lui sera rendu au Centre Pompidou à Paris, en avril. Et la 29e édition du Fespaco, au Burkina Faso, devrait célébrer, comme il se doit, le centenaire de la naissance de Paulin Soumanou Vieyra.