Mar 29 2025 4 mins 10
En persistant, six décennies après les indépendances, à exporter, brutes, ses matières premières, l'Afrique, perpétue elle-même la répartition du travail qui, pour ne pas faire concurrence à la métropole, la figeait, au temps colonial, dans le sous-développement.
De retour d’une tournée dans la région des Grands Lacs, le Dr Ronny Jackson a dressé, pour le Congrès américain dont il est membre, un état des lieux d’une très grande sévérité sur l’est de la RDC. Avec des propositions qui pourraient paraître discutables, sinon controversées, aux yeux de certains. Les constats de l’élu républicain ne reflètent-ils pas, malgré tout, quelques vérités, à prendre en compte ?
Il serait difficile lui donner tort, lorsqu’il dépeint l’est de la RDC comme la caricature du « Far West », avec toute la charge que porte, dans l’imaginaire collectif, cette métonymie. Au XIXe siècle, le Far West américain se distinguait, en effet, par la loi du plus fort, et plus personne n’y reconnaissait les règles communes. Et il a raison d’insister sur l’incapacité du gouvernement de Kinshasa à contrôler la région, par manque de ressources. On a du mal à le contredire, même lorsqu’il pointe du doigt la corruption, l’enrichissement de certains membres du gouvernement et de leurs familles, pendant que la population survit péniblement. Quant à la responsabilité des pays voisins, Ouganda, Rwanda et Burundi, elle n’est pas contestable. Il les accuse, doux euphémisme, d’importer des minerais de l’est du Congo.
Certaines de ses propositions sont, par contre, déroutantes. D’aucuns pourraient lui reprocher de reprendre à son compte l’argumentation des soutiens de la rébellion, quand il explique leur guerre par ce qu’il considère comme un déficit d’inclusion, par rapport à la citoyenneté congolaise des communautés rwandophones auxquelles sont d’ordinaire associés les rebelles du M23. Et l’idée d’intégrer les rebelles à l’armée nationale pourrait choquer, au regard de ce qui a déjà été fait dans ce sens, en vain.
Pourquoi, alors, donner une telle importance à ses propositions ?
Parce que Ronny Jackson passe pour être très proche de Donald Trump. Et sa perception pourrait s’imposer comme « la politique » congolaise des États-Unis. D’autant que sa vision et son insistance sur les difficultés pour les entreprises (américaines) qui voudraient s’implanter en RDC semblent conditionnées par cette forme d’avidité qui règne à Washington pour certains minerais stratégiques. Comme si l’essentiel, au fond, était de reproduire, en RDC, ce que les États-Unis tentent d’obtenir avec l’Ukraine, en échange de la paix. À ce prix, les rapports de son pays avec la RDC pourraient déboucher sur ce que l’on qualifiait, jadis, de pacte colonial. Et qui consistait, pour les nations colonisées, à alimenter en matières premières les industries de la métropole.
Ce serait inquiétant, car cette répartition du travail fige les pays africains dans le sous-développement, comme dans un piège sans fin. Mais, s’il y a faute, elle incombe d’abord aux Africains eux-mêmes, qui oublient de s’industrialiser, se contentant d’engranger les royalties, pour fournir aux autres de quoi faire tourner leurs industries. Imaginez qu’un coffret d’un kilogramme de chocolat, chez un des meilleurs chocolatiers mondiaux, peut coûter, en Occident, jusqu’à 64 fois le prix du kilogramme de fèves de cacao payé au producteur africain ! L’on retrouve plus ou moins la même échelle de déséquilibre pour tout ce qu’exporte, brut, l’Afrique : café, coton, karité, bois, etc. La Chine doit largement sa richesse actuelle à la transformation des matières premières qu’elle importe d’Afrique.
Pourquoi, alors, l’Afrique se cantonne-t-elle dans ce rôle de fournisseur de matières premières, pour enrichir les industries partout dans le monde ?
Déficit de leadership ! Et d’audace ! Les rares nations africaines qui s’en sortent sont celles qui savent prendre leur part dans la transformation de leurs matières premières. Si la RDC regorge de minerais essentiels pour les batteries d'ordinateurs, téléphones portables et autres véhicules non polluants, pourquoi donc n’exigerait-elle pas qu’au moins une des premières transformations nécessaires se fasse sur son sol ?
C’est ce que font, par exemple, les Botswanais, avec le diamant. Anvers, en Belgique, demeure, certes, la ville la plus prestigieuse du monde pour ce qui est de la taille du diamant. Mais, sur ce marché, Gaborone, capitale du Botswana où se situe la plus grande mine de diamant à ciel ouvert au monde, est loin d’être négligeable. Ainsi, grâce au leadership visionnaire de ses dirigeants, ce pays abrite les implantations de prestigieuses entreprises internationales : Hyundai, SABMiller, Daewoo, Volvo, Siemens…
« Que tombe la pluie ! », dit la devise du Botswana. Mais, pour qu’elle tombe effectivement, les Africains devraient s’interroger, se remettre en cause, plutôt que de compter sur la bonté de ceux qui prospèrent sur leur indolence.