01 Le monde dépressif [JOURNAL INTIME D'UNE DEPRESSIVE]


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Feb 19 2024 18 mins   1

⚡En thérapie, je travaille depuis des années sur moi-même, mon histoire et mon passé afin de comprendre enfin, ce qui a déraillé. Que s’est-il produit dans mon enfance pour que je sois devenue une adulte si instable, et si vulnérable ? Pourquoi cette mélancolie ? Est-ce mon caractère, ma façon d’être ? Après plusieurs années d’introspection, j’ai appris à chercher en moi les réponses. J’ai compris qu’il ne tient qu’à moi de changer mon destin.


Mais les difficultés que je traverse semblent ne jamais prendre fin. Alors il est parfois plaisant et réconfortant d’envisager que je ne sois pas l’unique responsable, et que malgré tous mes efforts fournis depuis 8 ans, je ne sois pas la seule qu’il faille soigner.


Le monde moderne peut se montrer rude et impitoyable. Certes, mon monde intérieur me maltraite, mais le monde extérieur n’est pas exempt de toute responsabilité. J’admets qu’il puisse se montrer merveilleux à bien des égards, mais dans mon cas, il peut également prendre la forme d’un ordonnateur terriblement angoissant et gravement anxiogène.


Malgré toutes les avancées et le confort que nous offrent ce monde, ces progrès indéniables ont laissé bien des choses de côté. Et les conséquences de cette mise à pied ne sont pas anecdotiques, mais au contraire, bien tangibles et bien plus souvent qu’elles n’y paraissent, dévastatrices.


Il y a peu, je faisais des courses et mon regard a été attiré par un stand de tisanes de CBD. Bien évidemment, je suis à l’affût constant de toutes les solutions qui pourront m’extraire de ma dépression. Alors, je me suis approchée et j’ai lu l’un des textes du packaging :


« Les plantes adaptogènes, de véritables boucliers naturels : Utilisées depuis des millénaires dans les médecines douces traditionnelles, les plantes adaptogènes sont réputées pour aider l’organisme à mieux s’adapter au stress. Une autre caractéristique des plantes adaptogènes est qu’elles évoluent dans un environnement hostile, ce qui leur confère une grande résistance car elles ont dû s’adapter pour se développer et survivre. Par conséquent, ces plantes représentent une solution naturelle pour mieux affronter les difficultés du quotidien de notre monde moderne. »


J’étais stupéfaite. Même les publicitaires l’admettaient ; tant et si bien qu’ils l’utilisaient désormais comme une stratégie marketing. L’adaptation serait donc la clé. « C’est la loi de la jungle, tu tues ou t’es tué ». Et ceux qui sont capables de s’adapter le sont car ils en ont le talent, l’énergie et la force. De l’existentialisme découle la méritocratie. Quelle libération ! Nous sommes enfin les maîtres de nos destins, alors, « Si on veut, on peut ». Les forts vaincront, ils réussiront, ils brilleront et seront valorisés. Selon Jung, « Je ne suis pas ce qui m'est arrivé, je suis ce que je choisis de devenir. » Je ne suis pas d’accord.


Car alors, qu’en est-il de ceux que l’on nomme aisément « les faibles » ? Ceux qui montrent les signes évidents d’un manque de talent ou d’un excès de paresse ? Car le monde ne regarde plus les opprimés comme par le passé ; comme des êtres qui ont subi un accident ou un malheur, non. Les échecs ne sont plus le lot des infortunés mais celui des « perdants » ; car si ceux qui sont au sommet méritent tout leur succès, alors ceux qui sont en bas méritent sûrement leur échec. Dans cette société qui valorise le mérite, ce qui semblait jadis une libération est devenu une damnation.


Aujourd’hui, je comprends la difficulté et la peine. Je connais la tragédie et le désespoir, et je me surprends à rêver d’un monde dans lequel nous pourrions croire, collectivement et de toutes nos forces, que nous avons tous des chances de réussir, mais également que nous pouvons tous tomber, que nous soyons bons ou mauvais, talentueux ou non, forts ou non, volontaires ou paresseux. Un monde où l’échec ne serait pas seulement le lot des uns, et dans lequel chacun mériterait la compassion plutôt que le mépris.


Musique originale : Nicolas Durand & Marie Richard