A l’arrivée de ma dépression, j’ai vu apparaître devant mes yeux un voile opaque gris qui a métamorphosé à jamais ma perception du monde. Les couleurs chatoyantes en furent dénaturées, dé-saturées, atténuées. Les odeurs, jusqu’alors, si douces se déformèrent en des effluves insupportables. Les chants des oiseaux se muèrent en un crissement inaudible. Le vin s’altéra et laissa la place à un breuvage exécrable. Tout ce qui auparavant paraissait si beau était devenu gris, pâle, et insipide.
« Une illusion agréable vaut mieux qu’une dure réalité. » Christian Nestell Bovee
Avant la dépression, ma vérité était celle d’un voile sensuel qui se nichait devant la réalité. Ce voile opaque était certes, de toute beauté, seulement son attrait me privait de la vue imprenable, celle qui se cache et qui doit se mériter, mais dont on ne regrettera jamais, après l’avoir découverte, de l’avoir tant cherchée.
Ce voile est souvent salutaire, car il est vrai que la lumière peut-être trop vive, elle peut même se faire éblouissante. Mais elle est source de vie. Et si ce rideau est juste un voilage quand on a 20 ans, il est remplacé par du lin plus épais et luxueux quand on a des enfants, et finalement, on se paye des bons gros doubles rideaux vers la cinquantaine. Pour finir par des volets automatiques à l’âge de la retraite.
Nombreux sont ceux qui se moquent bien de la vérité, ils se sentent parfois - à juste titre - persécutés et cherchent simplement des coupables. Alors je m’interroge :
Et si les coupables n’étaient pas ceux que l’on nous incite à pointer si aisément du doigt ? Et si le vrai coupable était la société capitaliste mondialisée ? Ne mériterait-elle pas d’être assignée à comparaitre à un procès équitable afin de répondre de son manque d’humanité et de son implacable absence de respect pour la dignité de ses sujets ? Ne serait-elle pas la vraie responsable de la misère, du chômage, de la violence, des inégalités, et de la dépression généralisée ?
Le monde n'est pas d’une simplicité qui s’enseigne. Le voile sur la réalité altère son authenticité. Ce filtre ne laisse passer qu'une partie de la vérité, mais l'essence même de cette vérité ne traverse pas le tissu du voile. Les grains sont broyés pour devenir de la poudre qui se diffusera dans l'eau. Il ne reste alors qu'une infusion de la vérité. Elle est manipulée pour devenir toute autre, plus douce et acceptable. Car les grains de la réalité sont bien trop amers, ils sont immangeables. Alors on les jette, on les met au rébus, on les altère afin que ne reste d'eux que ce que l'on a choisi de garder. Le breuvage exquis, pâle, trompeur, celui que l'on ne voudrait pour rien au monde abandonner.
« Il ne faut pas croire naïvement à ce que nous offre le monde. » Jean-Paul Sartre.
Musique originale: Nicolas Durand & Marie Richard
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