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Dec 23 2024 4 mins  


Il y a des choses sans nom qui, comme les créatures de Lovecraft, sont des êtres de terreur surgis d'un temps, d'un monde d'avant les mots, et dont la puissance se renforcerait d'être nommés, parce que nommer est toujours une reconnaissance, un ajout d'être à l'être.

Mais il y a aussi, parmi les choses sans nom,  des choses toutes douces et toutes mignonnes, si douces et si mignonnes qu'on craint peut-être, en les nommant, de les pétrifier, de les alourdir, comme il arrive que certains sentiments, certaines émotions légères et éphémères soient anéanties par le désir que nous avons de les nommer, de les ancrer, de les substantialiser alors même que la durée et la pesanteur sont pour elles un poison.

Est-ce pour cela que n'a pas de nom ce son, ce bruit, ce "humhum ?" que nous onomatopons pour signifier à qui nous parle, à qui nous a appelé ou nommé, que nous l'avons entendu, que nous avons compris qu'il ou elle s'adressait à nous et que nous lui prêtons désormais attention ? Est-ce pour cela que ce "humhum ?", dont nul ne sait d'ailleurs très bien comment il se prononce et s'écrit ; est-ce pour cela que ce "humhum ?" reste innommé ?

Innommé mais tellement éloquent ! Car il y a des façons de le prononcer, de le soupirer, de le sussurrer, qui pourraient, je crois, me faire tourner la tête, et même peut-être me la faire perdre, tant elles sont complices, charmantes, gorgées de sensualité et même d'érotisme.

La voix est quelque chose de si extraordinaire, de si vibrant, de si riche d'harmonies et de connotations. Elle est quelque chose de si émouvant et si irrésistible, comme celle des Sœurs du Bene Gesserit, dans Dune. C'est amusant comme nous accordons tant d'importance, dans nos relations sociales ordinaires, à la vue et au paraître alors que c'est à la voix et à l'ouïe que nous sommes probablement les plus sensibles, d'elles que nous sommes les plus esclaves et par elles que nous sommes les plus intimement touchés.

Il y a la voix et il y a l'intention. Je suis fleur bleue, bien sûr, et prompt à m'enflammer ; mais ce qui, dans ce "humhum ?", ce murmure  anonyme à peine articulé, me bouleverse et pourrait me terrasser plus sûrement que Michel son dragon, c'est l'intentionnalité, je veux dire le fait que, dans la sourde rumeur du monde et l'immensité de l'univers, c'est à nous, à nous seul qu'il soit destiné, comme une reconnaissance, le signe d'une élection.

A moins que ce ne soit pas vrai, et que l'intention personnelle que nous décelons dans ce murmure, comme les augures dans le vol des oiseaux et Jeanne dans le bruissement des herbes dans la brise, ne soit qu'une illusion, un délire, la projection de nos désirs.

En fond sonore, sous ma lecture du texte, Bayati, de Georges Gurdjieff, et le lent ruissellement, degoulinement peut-être, du liquide suintant d'Open Wound, l'œuvre de Mire Lee exposée dans le hall de la Tate Modern, à Londres.