Émerveillement et catastrophe


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Jan 29 2025 4 mins  


Image générée par Midjourney 6.1

Roulant l'autre jour à vélo, je prenais un grand plaisir à passer les vitesses, à ressentir la douceur et l'ingéniosité du mécanisme permettant à la chaîne de changer de plateau. Ce plaisir était comparable à celui qu'on éprouve quand on comprend soudain ce qu'a voulu dire Simone Weil quand elle parle des exercices de mathématiques, au spectacle d'une bonne pièce de théâtre, à une randonnée dans la montagne ou à l'échange d'un sourire avec une inconnue croisée dans la rue : quelque chose de simple, d'immédiat, qui ajoute au plaisir de vivre.

Cette capacité à prendre plaisir, à s'intéresser, à s'émerveiller de façon relativement égale de choses très nombreuses et très diverses (les œuvres de Michel-Ange, la mort des supernovas, la dernière version de Flight Simulator, les jambes de la femme qui marche devant moi, l'action de SOS Méditerranée), sans forcément savoir les interclasser ou établir entre elles une claire hiérarchie, est probablement une des manifestations de cette évolution régressive qui fait que les humains adultes ont des traits de comportement qu'on retrouve chez beaucoup d'autres animaux (notamment les primates et parmi eux, les autres grands singes) mais ordinairement chez les individus juvéniles.

Cette capacité, qui est si développée chez nous, est certainement d'une grande aide dans la sélection naturelle : comme nous sommes capables de trouver partout des sources de divertissement, nous pouvons probablement surmonter plus facilement nos tristesses, nos ennuis, nos chagrins d’amour : elle est partie, Katia, mais j'ai ma collection de timbres, peux regarder Game of thrones et lire l’intégrale de la Comédie humaine ! Et surtout nous sommes curieux de tout, n'avons aucune œillère, ce qui est une aide puissante à la créativité et à l'inventivité.

Mais cette capacité à trouver du plaisir partout, à nous enivrer de tout, qui nous rend semblable à l'enfant qui, à la fête foraine, émerveillé de tout, veut tout essayer et ne sait plus où donner de la tête, est également porteuse d'inconséquence, de désinvolture, de frivolité, de futilité : nous ne mesurons pas forcément très bien ce qui est le plus important (livre ou gâteau au chocolat ?) et avons parfois du mal à sacrifier le plaisir immédiat (faire joujou avec les IA génératives) aux besoins du long terme (baisser drastiquement notre empreinte écologique), et cela d'autant plus que nous savons que c'est souvent, dans le passé, la recherche du plaisir immédiat qui nous a ouvert le chemin des grandes découvertes et des grandes solutions.

Homo sapiens, nous sommes-nous baptisés ; et pourtant, c'est sans doute aux gênes que nous avons en commun avec nos cousins chimpanzés et bonobos et à ceux que nous avons hérités de Neandertal et de Denisova que nous devons d'avoir un peu de plomb, un peu de sagesse dans la tête, à eux que nous devons de n'être pas totalement inconstants, voire inconsistants. C'est à leur gravité et à leur sérieux que nous devons d'être sapiens. Mais nous ne sommes pas que cela : nous sommes cette vibration continuelle entre gravité et légèreté, sérieux et futilité.

En fond sonore de ma lecture,