Mar 09 2025 5 mins
Les ruines de Sodome (image générée par Midjourney)
J'ai toujours été désespéré par l'intercession d'Abraham - je veux dire par le fait qu'Abraham doive intercéder pour que Dieu prenne en considération le sort des innocents qui seront sacrifiés dans la punition collective de Sodome et Gomorrhe.
Qu'il faille qu'un homme rappelle à Dieu les bases de la justice, qu'il faille qu'un homme soit là pour rappeler à Dieu, dans un échange pitoyable de marchands de tapis, qu'on n'assassine pas cinquante, ni quarante-cinq, ni quarante, ni trente, ni vingt, ni dix personnes qui n'ont rien fait pour satisfaire un désir de châtiment ni même une juste colère ; que cela soit nécessaire, cela me désespère.
Il n'a donc jamais vu une femme ou un homme, ce Dieu là ? Il n'a jamais vu un sourire d'enfant, jamais entendu le rire d'une jeune fille (ou d'un vieillard édenté, car à vrai dire cela revient au même, même si c'est moins charmant), jamais écouté les paroles d'un chant ou touché le tissu d'une tunique ? Il n'a jamais compris, ce Dieu, qu'en chaque être humain était un monde entier et qu'à en sacrifier un, même un seul, c'était un monde entier qu'on faisait disparaître ? Il n'a donc jamais compris ce qu'était cette créature, cette créature prétendument faite à son image ? Il continue donc à la considérer comme sa chose, comme un pantin dont le seul devoir serait de l'honorer et de lui obéir ? Il ne saisit donc pas ce qu'il a fait, ce qu'il a fait lui-même de ces six jours et de ces six nuits, de cette création, de cette lumière, de cette vie qu'il a fait surgir du néant et il en revient toujours à ça : se venger ; se venger et bisque bisque rage ! comme aux temps d'Adam et Eve, de la Chute et de Noé ?
Je revenais du rassemblement qu'avaient tenu, devant la mairie du IIIè (et ça n'est pas absolument sans rapport avec le sujet de ce post) Hanna Assouline et ses Guerrières de la Paix, et tandis que je longeais la Sorbonne, passant devant les locaux qui avaient été ceux des Cahiers de la quinzaine, de ce Péguy qui avait si bien compris Ève ; tandis que je longeais la Sorbonne, a retenti l'éclat de rire d'une jeune fille à vélo. Et ce rire était comme du bonheur jaillissant de sa bouche.
Qui est assez sourd ou assez abstrait de la vie pour ne pas réaliser que cet éclat de rire, que chaque éclat de rire, chaque possibilité d'éclat de rire est une bénédiction qui justifie que le monde entier soit sauvé ? Et que mettre fin volontairement à cet éclat de rire, ou même à sa possibilité, est une abomination, une tache que rien, pour le siècle des siècles, ne pourra effacer ?
Pourquoi faut-il, comment se fait-il que ce soit Abraham qui apprenne cela à Dieu : qu'aussi nombreux et terribles aient été les crimes des habitants de Sodome et Gomorrhe, ils ne justifient pas, en rien ils ne justifient qu'on s'en prenne à l'innocent (si même ils justifient, ce qui n'est sans doute pas le cas, qu'on s'en prenne aux coupables) ?
L'image a été générée par Midjourney à partir du prompt, très simple : "Photographie des ruines de Sodome et Gomorrhe"
En illustration sonore, derrière ma lecture, et collant assez bien au désespoir qui peut parfois nous envahir, le Gloria de Van Morrison repris ici,