Enrique Dussel nous a quittés il y a bientôt un an, en novembre 2023. C’était un philosophe et théologien argentin, dont le nom reste peu connu en France malgré sa notoriété en Amérique Latine, et notamment au Mexique où il s’exila en 1975 après avoir été menacé de mort par l’extrême-droite argentine. L’absence de Dussel dans le paysage théorique français est un fait qui confirme une fois de plus la règle des abysses de l’ignorance et de la forclusion nationales en matière de décolonial. Emmanuel Levine a récemment traduit deux des œuvres de Dussel, ce qui rend possible de continuer de remédier à ce déni : Philosophie de la libération, PUF, 2023 et Métaphysique de l’altérité. Levinas et la libération latino-américaine, Hermann, 2024. Une spécificité de Dussel est d’avoir inlassablement affirmé et documenté l’existence d’une dimension métaphysique propre aux enjeux anticoloniaux, postcoloniaux, décoloniaux. On a eu l’occasion, en lisant et discutant Dussel, de se poser la question des différences entre ce que recoupent ces trois derniers termes, et donc de procéder à une esquisse de généalogie du décolonial latino-américain ; de s’interroger ainsi sur les orientations qu’il nous faut lui donner à présent. « Initier un discours philosophique qui parte de la périphérie, qui parte des opprimés. » – tel était le mot d’ordre, en 1977, de la Philosophie de la libération.