L’IA est en train de redéfinir le commerce de détail (« retail ») en profondeur, en transposant le type d’automatisation et de professionnalisme autrefois mis en œuvre dans l’industrie manufacturière. Dans le cas présent, il s’agit principalement de décisions marketing fondées sur des données et de capacités médiatiques en magasin. Axians, une entreprise du groupe VINCI, démontre que l’IA n’est pas un simple jouet pour les étudiants de premier cycle qui échouent à leurs examens et sont en recherche d’inspiration. C’est au contraire un outil high-tech industriel de pointe, qui œuvre à la croissance et à l’amélioration de la gestion des magasins. Cependant, comme souvent en matière de technologie, il y a un côté sombre. Une autre face qui est plus inquiétante et dépeint un avenir du « retail » où les licenciements continueront de pleuvoir, principalement pour les enseignes qui ont raté le coche de la personnalisation pilotée par l’IA. Voici le compte-rendu de mon interview avec Hugo Rocha Gonçalves, directeur Smart RetAIl d’Axians, lors de Tech for Retail 2024.
IA et retail : les files d’attente aujourd’hui, les emplois demain
Vous êtes responsable de la solution Smart RetAIl chez Axians. De quoi s’agit-il ?
Hugo Gonçalves. Nous avons développé le concept Smart retAIl pour répondre aux principaux défis auxquels le secteur de la vente de détail est confronté aujourd’hui. Il est indispensable de mieux comprendre le comportement, le profil et les habitudes d’achat des consommateurs en magasin. Nous fournissons ces « insights » afin d’améliorer l’efficacité des magasins et de permettre une prise de décision fondée sur les données.
Pouvez-vous décrire le processus de Smart RetAIl ?
H.G. Nous utilisons l’IA et le « computer vision » pour le mettre en œuvre.
- La première étape consiste à comprendre comment les points de vente sont organisés, à quoi ressemble le plan du magasin, et aussi comment nous pouvons capturer ces données de manière anonyme – pour des raisons évidentes de conformité au RGPD – afin d’alimenter un processus de décision basé sur les données.
- Après avoir capturé ces données anonymes grâce au « computer vision », nous pouvons mesurer un certain nombre de facteurs. Il s’agit notamment de savoir quelle est la fréquentation, qui sont les acheteurs, quand ils achètent et quel est leur parcours dans le magasin ? Nous pouvons ensuite cartographier, avec l’aide de l’IA, les zones chaudes et froides du magasin. Dans ces zones, nous pouvons ainsi savoir si les visiteurs du magasin sont de véritables acheteurs ou de simples badauds et combien de temps ils passent dans le magasin.
Il s’agit en quelque sorte d’une « heat map» de la circulation en magasin
H.G. C’est exactement cela. Grâce à cette cartographie, nous pouvons également comprendre les produits qui attirent les consommateurs et combien de temps ils mettent à les évaluer. Avec l’IA, nous montons d’un cran dans la connaissance client. Cela comprend le test et la dégustation des produits. L’IA nous aide beaucoup dans la vente de chocolat ou de parfums par exemple, deux secteurs où le test du produit joue un rôle essentiel. Grâce à ces technologies, nous pouvons détecter si un client qui teste un parfum décidera ou non de l’acheter par la suite.
Vous automatisez donc le travail des professionnels de l’étude des comportements des consommateurs en magasin
H.G. En effet. Autrefois, ce travail fastidieux consistait à analyser des vidéos pendant des heures afin de comprendre le comportement des clients, les habitudes d’achat et les possibilités de personnalisation. Dorénavant, nous disposons d’IA capables de traiter les vidéos de télésurveillance d’un magasin enregistrées en 24/24. Nous pouvons traiter toutes ces données et en tirer des informations précieuses ainsi que des données enrichies par l’IA et le « computer vision ».
Vous capturez donc un flux d’images à l’aide de caméras installées dans les magasins, comment cela fonctionne-t-il ?
H.G. Ce processus est l’exemple parfait de l’application de l’apprentissage automatique et de l’IA. Il n’est pas nécessaire de recourir à des dispositifs intrusifs supplémentaires. Nous utilisons les caméras de vidéosurveillance existantes dans les points de vente. Nous appliquons ensuite le traitement d’image de l’IA, image par image, sur les enregistrements existants. Les données recueillies sont ensuite reconnues et classées automatiquement par l’intelligence artificielle. En résultante, nous obtenons de nombreux indicateurs clés de performance comme la qualification des passants/acheteurs, l’identification des zones chaudes et froides, comme je l’ai indiqué précédemment. Nous nous connectons également à d’autres systèmes d’information tels que les systèmes de gestion de la relation client (CRM), les ERP ou les terminaux en sortie de caisse. De cette manière, nous sommes en mesure de faire correspondre nos données avec les chiffres issus des ventes.
De quel type d’IA parlons-nous ici, certainement pas de ChatGPT !
H.G. Ce système est le résultat d’un travail important et d’une forte expérience du terrain. Nous disposons d’un grand nombre de data scientists chez Axians. Il est également important de mentionner que cette solution est issue d’un programme d’IA lancé par le groupe VINCI, le programme Leonard (NDLR du nom de Léonard de Vinci). Ce programme se concentre sur la résolution de défis quotidiens par l’innovation technologique. Il s’agit d’utiliser l’IA pour résoudre des défis concrets. Pour cela, nous combinons expertise et connaissances humaines avec les technologies d’intelligence artificielle. Il s’agit d’un autre type d’IA couplée à la « computer vision » et non d’une IA générative.
Il s’agit donc soit de ML ou de Deep Learning. En quoi consiste le processus d’entraînement ?
H.G. Il existe une courbe d’apprentissage pour ces types de systèmes. Nous entraînons le modèle en utilisant ce que nous appelons l’étiquetage manuel. Celui-ci aide le modèle à identifier les personnes humaines. Pour ce faire, nous recourons aux modèles existants, nous ne partons pas de zéro. Ces modèles sont des modèles ouverts qui identifient un être humain dans un magasin et ses interactions. En plus de cela, nous faisons appel aux enseignes qui nous aident à entraîner les modèles. Cela nous permet également d’étiqueter correctement les données. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’un processus non supervisé. Nous parlons ici de traitement d’images d’IA supervisé. L’apprentissage supervisé garantit l’étiquetage correct des données et l’exploitation efficace des capacités de l’IA.
Quel type de travail a-t-il été nécessaire avant le lancement ?
H.G. Un important travail de préparation a été nécessaire au préalable. Nous avons beaucoup d’expérience dans le développement de solutions d’IA, en particulier dans les domaines de la « computer vision », du traitement des données, du traitement de l’IA et de la qualité des données. Cela représente au moins deux ou trois ans de travail intensif, de collaborations, de tests et d’efforts pour progresser. Lorsque la solution « packagée » ne suffit pas, nous proposons des POC à nos clients. Ces POC nous aident à faire baisser les coûts liés aux tests. Par exemple, nous testons actuellement la gestion des files d’attente assistée par l’IA. Par expérience, nous avons constaté que les clients n’attendent normalement pas plus de 10 minutes lorsqu’ils ont prévu de réaliser un achat. Si le délai d’attente dépasse 10 minutes, ils quittent la file d’attente et renoncent à leur achat. Nous nous attaquons à ces problèmes en fournissant des informations fondées sur des données.
Pouvez-vous partager avec nos lecteurs un cas concret ?
H.G. Nous avons lancé un POC en Italie avec un grand client du secteur de la distribution. Ce détaillant s’est rendu compte qu’il perdait des ventes et que son taux de conversion diminuait parce que son personnel n’aidait pas ses clients, même si cela faisait partie de sa formation initiale (« onboarding »).
Le gain final a été significatif. Le temps d’attente a été réduit de 50 % et les ventes ont augmenté de 12 à 15 % dans certains magasins grâce à cette mise en œuvre.
Cela a suffi pour atteindre le point mort et ils nous ont soumis de nouveaux cas d’usage, avec des questions fort complexes liées à l’usage de l’intelligence artificielle.
Combien de temps faut-il pour atteindre le seuil de rentabilité avec ce type de solution ?
H.G. Cela dépend beaucoup de la taille des magasins. Ce n’est pas une solution standard qui s’appliquerait à tous de la même manière. Mais dans l’ensemble, le point mort sur ce type de plateforme est atteint entre 6 et 12 mois.
Un autre cas d’usage IA et retail, au Portugal, par exemple ?
H.G. Sur ce problème de files d’attente dans le commerce de détail, nous avons en effet un autre cas d’usage au Portugal. Le problème principal était l’identification des zones les plus rentables du magasin. Pour les points de vente dédiés à la high-tech, pour des produits comme les smartphones par exemple, ces zones sont celles où les consommateurs passent le plus de temps.
Ce temps de passage plus long permet aux commerçants de vendre de l’espace média aux industriels. C’est ce que l’on appelle le « retail media ». Dans ce cas particulier au Portugal, nous avons obtenu d’excellents résultats avec une enseigne qui a commencé à monétiser les zones chaudes de ses magasins.
Il sait désormais quelles sont les zones qui offrent le meilleur retour sur investissement et peut facturer plus cher le placement de produits dans ces zones. Nous en sommes encore aux prémices avec ce client, une grande enseigne portugaise. D’ores et déjà, le retour sur investissement en euros se situe entre quatre et cinq chiffres par magasin.
Votre solution peut-elle aider les détaillants en difficulté dans le contexte économique actuel ?
H. G. Absolument. Nous vivons dans un monde où les données jouent un rôle central. Toutes les décisions de management devraient être prises sur la base de données. C’est justement ce que permet notre plateforme.
Dans un avenir proche, les enseignes qui ne se seront pas passées au marketing axé sur les données et l’IA n’auront d’autre choix que de réduire leur masse salariale et de prendre des décisions hasardeuses de dernière minute.
Notre solution permet de mettre à nu des indicateurs clés de performance et des métriques qui auparavant étaient cachés. Grâce à l’approche fondée sur les données, nous sommes capables de réduire les redondances et de faciliter la prise de meilleures décisions managériales.
IA et retail dans cinq ou dix ans : le commerce de détail restera-t-il une activité fortement consommatrice de main-d’œuvre ?
H. G. Avec ces solutions IA, le commerce de détail ne sera plus aussi dépendant de la main-d’œuvre. Nous allons assister à une reconfiguration majeure des enseignes. Dans les magasins de luxe, le personnel continuera à nous assister dans nos achats. Pour les achats quotidiens par contre, il faut s’attendre à une réduction significative du personnel.
À l’avenir, le commerce de détail ne sera plus aussi dépendant de la main-d’œuvre
L’avenir du commerce de détail passera également par une accélération de la personnalisation des offres. Nous connaissons déjà un tel niveau de personnalisation dans les services de streaming qui suivent très bien nos données personnelles et comportementales. Transposé au commerce, cela signifiera que chaque consommateur disposera d’un catalogue sur mesure, adapté à ses besoins.
Pour rester dans le jeu, les détaillants devront posséder une connaissance approfondie de leurs clients. À l’avenir, au-delà de ce niveau élevé de personnalisation, chaque client exigera une expérience de service après vente adaptée à ses propres besoins.
The post IA et commerce : les files d’attente aujourd’hui, les emplois demain appeared first on Marketing and Innovation.