Pas de répit dans les négociations environnementales. Alors que la COP29 s’est achevée ce week-end à Bakou, le cinquième et dernier tour de discussions en vue d’un accord sur la fin de la pollution plastique se déroule toute cette semaine à Busan, en Corée du Sud. Beaucoup reste à faire, tant les clivages persistent entre nations, pour que le futur traité soit à la hauteur des nécessités.
De Bakou à Busan. De la COP29 à l’INC-5, pour Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique. Deux processus de négociations multilatérales onusiennes parallèles mais intimement liés par leurs objectifs : stabiliser le réchauffement du climat et préserver l’environnement, intrinsèquement liés.
La 29e Conférence des parties sur le climat s’est achevée ce week-end en Azerbaïdjan. Non sans douleur, le monde est parvenu à s’accorder sur un nouvel objectif financier, a minima, pour la lutte contre le changement climatique.
Parmi les grands axes pour lever les milliards nécessaires chaque année, l’idée de taxes dites de solidarité fait son chemin : grandes fortunes (entreprises et milliardaires), cryptomonnaies, secteurs aérien, maritime ou énergétique fossile seraient mis à contribution. L’une d’entre elles concerne le plastique. Quelque 460 millions de tonnes de cette matière sont produites chaque année. Un prélèvement sur sa production pourrait rapporter jusqu’à 35 milliards de dollars par an, à raison de 60 à 90 dollars par tonne produite, et ainsi servir à combattre l’une des pires pollutions qui soit pour la planète et notre santé avec celle de l’atmosphère.
C’est justement pour tenter de mettre fin à la « plastication de la planète » que 175 États négocient depuis deux ans. Une cinquième réunion se tient cette semaine à Busan en Corée du Sud. Elle est censée fermer ce cycle de négociations démarré après l’adoption, en mars 2022 à Nairobi, de la résolution 5/14 de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies pour l’environnement. Qualifiée d’« historique », elle donnait aux États le mandat de négocier un « instrument » – communément appelé traité plastique – qui tiennent compte de l’ensemble du cycle de vie du plastique et qui soit juridiquement contraignant. Deux points centraux aujourd’hui remis en question par des États peu enclins à les suivre.
Le plastique pèse de plus en plus lourd dans le réchauffement climatique et sur la santé
Les liens entre la production de plastique et le changement climatique ne sont plus à prouver. Les matières (ou polymères) plastiques sont quasiment tous des dérivés du pétrole. Selon une étude de référence du Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL, université publique de Californie), leur production compte pour environ 5% des émissions de gaz à effets de serre, soit deux fois les émissions de CO2 du trafic aérien. Elle a doublé entre 2000 et 2020 et, si rien n’est fait, pourrait tripler d’ici 2060 pour atteindre près d’un milliard de tonnes, selon les projections de l’ONU-Environnement. On retrouvera ce même ordre de grandeur du côté des déchets (360 Mt en 2020, 617 Mt projetées en 2040) parce que le recyclage mondial, l’autre volet majeur des négociations, plafonne lui à moins de 10%.
L’étude de Berkeley ajoutait qu’en partant d’un « scénario conservateur d’une croissance de 2,5%/an », cette production plastique devrait occuper en 2050 près d’un quart du budget carbone restant pour contenir le réchauffement mondial moyen à 1,5°C. Il devancerait ainsi le secteur des transports.
Sans compter les conséquences sur les puits de carbone, eux aussi affectés. Lorsqu’il n’est pas recyclé ou incinéré, le plastique se dégrade en micro et nano-particules qui se répandent partout dans les écosystèmes naturels vivants. De la fosse océanique des Mariannes aux sommets de l’Himalaya, jusque dans nos organismes via celui des poissons. Pour la première fois, en 2022, des chercheurs en ont même retrouvé dans le lait maternel. La semaine dernière, une étude du British Antarctic Survey, l’opérateur de recherche scientifique britannique sur le continent blanc, a dévoilé que les particules de nano-plastiques rejetées dans l’océan ont de puissants effets négatifs sur le fonctionnement de ce gigantesque puits de carbone. Elles empêchent les excréments du krill d’absorber autant de CO2 qu’il le pourrait, à peu près 30% en moins. « C’est énorme ! a commenté le Dr Clara Manno, auteure principale. Nous pouvons désormais constater que la pollution plastique perturbe le rôle naturel que jouent l’océan et les héros du climat comme le krill dans l’équilibre du cycle mondial du carbone. » Cette petite crevette vit par milliard dans les eaux de l’Antarctique et forme une puissante pompe à carbone. Le même BAS avait déjà révélé que le krill stockait environ 20 millions de tonnes de CO2 chaque année.
Des négociations complexes minées par des clivages partisans fluctuants
Le constat et le principe font donc l’unanimité : il faut absolument mettre un terme à cette pollution. Les moyens pour y parvenir sont, en revanche, beaucoup plus divergents.
David Azoulay, avocat spécialisé au Centre pour le droit international de l’environnement (Ciel) basé en Suisse, et observateur accrédité de ce dossier depuis 2016, rappelle que les négociations pour un traité ne visent pas l’arrêt la production de plastique : « L’idée n’est absolument pas de se passer du plastique. Ca, c’est le narratif et la caricature des partisans de la production à outrance. Mais aucun État, aucune ONG ne le demande. Ce qu’on doit faire, c’est limiter l’utilisation du plastique à des usages essentiels qui justifient de mettre dans la balance les impacts environnementaux et de santé qu’il crée. »
Sur le fond, deux camps s’affrontent. D’un côté, majoritaire, une Coaliton de Haute ambition (HAC), de 67 pays, parmi lesquels l’UE, plusieurs pays occidentaux (hors États-Unis) sur lesquels s’alignent, officiellement ou non, la quasi-totalité des pays africains. Tous veulent aboutir à un traité qui obligent les États à les respecter, comme le veut la résolution.
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Ce groupe veut prendre en compte la prolifération du plastique à travers tout son cycle de vie, sa production, ses multiples transformations, son transport, ses usages et son élimination, estimant que s’en tenir au recyclage en aval ne résoudra pas cette « crise ». « La science est claire : nous devons d’abord nous attaquer aux niveaux insoutenables de production de plastique si nous voulons mettre fin à la pollution plastique à l’échelle mondiale », avait déclaré le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, en avril 2024. Deux pays moteurs, le Rwanda et le Pérou, vont plus loin et ont proposé la réduction de la production de plastique de 40% en 2040 par rapport à 2025.
Un autre sujet porte sur la réglementation et la limitation des produits chimiques qui composent les plastiques en circulation, estimés à 16 000. « Plus de 4 300 ont des effets toxiques avérés et la moitié ont des impacts encore inconnus », indiquaient des scientifiques impliqués dans les négociations. Recycler ces produits, c’est aussi recycler leur toxicité. « Les produits en plastique doivent être plus durables, donc "détoxifiés" », plaide la HAC. Cela implique de s’attaquer aux problèmes liés aux produits chimiques dangereux qui sont à la fois ajoutés intentionnellement pour conférer aux matières plastiques des propriétés spécifiques, mais aussi inhérents à certains matériaux. »
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Enfin, si tout le monde s’accorde sur des besoins de financement, qui doit payer : industrie du plastique ? Pays du Nord ? Principe du pollueur-payeur ? Ce groupe milite pour cette dernière option.
Des pays « obstructeurs »
Toucher aux vannes de la production plastique, principal point de conflit, ne fait pas les affaires d’un groupe dit des « like-minded », « des mêmes visions ». Entre vingt et trente, ils se regroupent, « sans s’afficher clairement », relève David Azoulay, sous l’ombrelle des grands pays producteurs de pétrole, Arabie saoudite, Iran et Russie. Égypte, Algérie et Venezuela figurent dans ce giron. « On reconnait là les mêmes acteurs qui sont actifs dans les conventions autour du climat pour les faire dérailler. Eux veulent un traité qui ne contienne pas d’obligations juridiquement contraignantes mais plutôt que chaque pays décide ce qu’il veut faire, ce qui au passage enlève tout le sens d’un traité international. Ils partent du principe qu’un produit plastique n’est problématique qu’une fois qu’il est un déchet et que c’est un déchet qui est mal géré. Tout le reste devrait être encouragé et non pas contrôlé. » Moins conflictuel, le sujet du listage des produits chimiques connait des oppositions, comme celle du Brésil, qui souhaitent le « contrôle » et non l’interdiction de ces produits.
Comme dans les COP climat, ces pays peuvent compter sur l’appui des acteurs du secteur pétrolier et leurs alter ego indispensables de l’industrie chimique avec lesquels ils travaillent main dans la main. Ils étaient 196 lobbyistes enregistrés sur 2500 participants lors de la session d’avril (INC-4) à Ottawa, contre 143 à la précédente, selon les décomptes des observateurs du Ciel.
« Une pression de plus en plus forte s’exerce sur les producteurs de pétrole de gaz et de charbon pour limiter la transformation en carburant, reprend David Azoulay. Depuis cinq à dix ans, ces mêmes producteurs sont en train d’opérer une transition pour orienter la plus grande partie de leur production de matières fossiles vers la pétrochimie et vers le plastique en particulier. C’est comme ça qu’on observe une augmentation quasi exponentielle des capacités de production en matière de plastique. Ils le disent depuis 2017 à leurs actionnaires. » « La COP28 s'est achevée avec un appel à transitionner hors des énergies fossiles. Pour moi, cela veut dire que l'industrie plastique ne devrait pas être un gilet de sauvetage pour les compagnies pétrolières », prévenait Inger Andersen, cheffe de l'ONU-environnement, dans une tribune à l'adresse du Forum économique mondial, en janvier 2024.
Au milieu, trois pays qui cherchent leur place et leurs intérêts dans ce dossier complexe : la Chine, premier producteur de plastique, les États-Unis, premiers consommateurs et seconds producteurs, et l’Inde, premier producteur de déchets, mais aussi grand pays producteur. Tous trois sont, chacun à leur manière, alignés avec le groupe des « like-minded ».
La position des États-Unis est particulièrement mouvante. Opposés à un traité contraignant, qui porterait sur l’ensemble du cycle du carbone et listerait les produits chimiques à éliminer, ils ont graduellement changé de braquet en reconnaissant la nécessité d’agir sur la production de plastique. Ils l’ont affirmé haut et fort au G7 d’Ottawa en avril 2024 puis l’ont répété durant l’année. On est alors en pleine campagne présidentielle et Joe Biden place l’environnement dans le top de ses priorités. Pourtant, les observateurs mettent en garde contre le double jeu américain, qui pousse toujours pour la liberté des États à mettre en place leurs propres mesures de réglementation. « Ce qui est sûr, c’est que les États-Unis n’ont jamais eu l’intention de ratifier ce traité international, assure David Azoulay. C’est comme ça qu’ils participent aux négociations internationales : ils tirent les ambitions vers le bas en matière environnementale, et lorsqu’on arrive à un accord, ils ne ratifient pas. Si on parle de traitement de la crise plastique à la source, les États-Unis ne sont pas un allié. Avec le retour de Donald Trump à la présidence, ils seront un acteur encore moins fiable. »
Les chances d'un accord ambitieux sont « faibles »
Le fossé reste donc béant, à cinq jours de la conclusion. « Le risque de turbulences est bien réel », pointent des spécialistes de l’Institut du développement durable et des relations internationales, dont l’un des auteurs nous évoquait le caractère « stratégique » de ces négociations. Avant de s’envoler pour la Corée, David Azoulay disait s’attendre à « des négociations tendues » et « à de l’obstructionnisme de certains pays opposés à la négociation de cet accord ». Quant à l’espoir d’un traité, l'incertitude domine : « On peut espérer des progrès voire la finalisation d’un texte d’ici à la fin de la semaine. Mais les chances d’un accord, même si tous les négociateurs vont à Busan avec l’objectif de finaliser le texte, restent faibles eu égard aux divergences et aux dynamiques de négociations. »
Le niveau d’ambition du document issu de ces cinq jours sera en fait l’étalon-mètre du succès de Busan. Or le projet d’accord compte près de 80 pages, remplies de milliers de crochets qui sont autant de points non tranchés. Face à cela, le président du comité, l’Équatorien Luis Ignacio Vayas Valdivieso, ne ménage pas ses efforts. Fin octobre, il a proposé aux États un document de travail non officiel pour réduire le nombre de crochets et simplifier les discussions. Reste à voir s’il sera accepté comme nouvelle base de travail, car il ne soulève pas l’enthousiasme et n’a pas suivi le processus formel. Issue possible à Busan : un accord qui laisse les points litigieux à des sessions supplémentaires l’année prochaine. Selon l’Iddri, le Pérou et le Rwanda proposent que le traité, qui s’appellerait Kigalima (contraction de Kigali et Lima), soit signé dans la capitale du Rwanda. Ce point-là a bien plus de chances d’être accepté.
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