Elle s’appelait Aline. Sa photo est à la Une du site d’information Guinée Matin. Une jeune fille de 16 ans, souriante, élégante, jupe bleue et chemisier blanc, faisant le V de la victoire avec la main.
Aline a été écrasée, piétinée par la foule dimanche lors de la gigantesque bousculade du stade de N’Zérékoré. Dans les colonnes de Guinée Matin, son père, Olivier fait part de son immense douleur : « Elle était très joyeuse, raconte-t-il. Elle avait un surnom à l’école : Madame surprise. Car, quand arrivait l’anniversaire de l’un ou l’une de ses amis, elle lui faisait une surprise. (…) Je demande aux autorités de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé, poursuit-il, afin que les coupables soient connus. »
Au total, le mouvement de foule a fait 56 morts, du moins officiellement. Un bilan qui pourrait être beaucoup plus lourd. « “La morgue est pleine“, a expliqué un médecin local, sous le couvert de l’anonymat, estimant “qu’il y [avait] une centaine de morts“. » C’est ce que rapporte Le Monde Afrique qui précise que « plusieurs photos et vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des corps inertes à même le sol, dans l’enceinte de la morgue. »
Pénalty litigieux et gaz lacrymogène…
Que s’est-il passé ? « Dimanche après-midi, rapporte le journal, les équipes de N’Zérékoré et de Labé s’affrontaient lors d’un match à l’enjeu symbolique ; la finale du trophée “Général Mamadi Doumbouya“, une compétition dédiée au chef de la junte, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, en septembre 2021. (…) Deux faits d’arbitrage ont fait dérailler le match, pointe Le Monde Afrique. Tout d’abord un carton rouge en milieu de deuxième période, finalement annulé. Puis un penalty litigieux, sifflé dans les dix dernières minutes. Cette décision a provoqué la fureur des supporteurs de Labé. Des pierres ont été jetées et le terrain a été envahi. Les forces de l’ordre ont alors lancé des gaz lacrymogènes, d’après plusieurs sources présentes dans le stade, ce qui a provoqué un grand mouvement de foule, relate encore le journal. Des vidéos montrent des centaines de spectateurs – des mineurs, pour la majorité d’entre eux − escaladant l’enceinte du stade afin d’échapper à la cohue. “C’était la débandade. Les gens se sont dirigés vers le seul portail du stade, se sont bousculés (…) Les plus faibles ont été piétinés“, affirme un jeune supporteur, qui a perdu un ami proche dans l’immense bousculade. »
Arrière-plan électoral…
Ce drame s’inscrit dans un contexte politique, précise pour sa part le site Afrik.com. Car « depuis quelques semaines, des tournois de cette nature sont organisés un peu partout en Guinée, explique-t-il, pour témoigner du soutien des populations au général Mamadi Doumbouya. La date de la prochaine Présidentielle n’est pas encore connue, mais la candidature du chef de la junte semble de plus en plus évidente. Cela en dépit des prescriptions de départ de la Charte du CNRD qui interdit (en principe) à tous ses membres de se porter candidat. Et comme le montre le match qui a dégénéré, la situation sécuritaire du pays est particulièrement tendue. »
D’ailleurs, l’opposant Cellou Dalein Diallo n’a pas tardé à réagir. Des propos à lire notamment sur le site guinéen Aminata : « cette tragédie a eu lieu pendant la finale d’un tournoi de football organisé, hélas, déplore-t-il, dans le cadre de la promotion de la candidature illégale du Général Mamadi Doumbouya à la prochaine élection présidentielle. »
La junte « responsable » !
La société civile n’est pas en reste. Pour le FNDC, le Front national pour la défense de la Constitution, regroupement civique dissous par les autorités, « cet événement tragique, survenu dans le cadre d’une campagne de propagande organisée par la junte militaire au pouvoir en faveur de la candidature de Mamadi Doumbouya, illustre une gestion irresponsable et une indifférence alarmante des autorités actuelles. La Coordination Nationale du FNDC tient Mamadi Doumbouya et son gouvernement directement responsables de cette catastrophe. » Des propos rapportés par le site AConakry Live.
A lire également sur Ledjely, autre site guinéen, la réaction de Namaragni Djanfatignè, guérisseur et acteur social bien connu des populations de Haute Guinée. Il ne mâche pas non plus ses mots : « tous ceux qui préparent ces mouvements de soutien sont coupables, y compris le gouvernement, affirme-t-il, parce qu’il y avait des ministres, des préfets, des gouverneurs là-bas. À qui la faute ? C’est à eux. (…) Je demande au président Doumbouya de stopper ces mouvements, d’organiser les élections et de partir. »